Les entretiens

Plusieurs campagnes d’entretiens ont été menées comme précisé dans l’introduction générale. Nous avons d’abord rencontré les personnes identifiées dans les dossiers d’inscription de l’arrondissement historique de Québec et du site historique de Lyon comme en étant les fabricants. Nous leur demandions systématiquement avec qui elles avaient travaillé au cours de cette procédure (en amont ou en aval) afin d’élargir la liste des enquêtés. Nous avons alors complété cette liste en interviewant les individus dont les noms figuraient régulièrement dans les comptes-rendus de réunions, dans des articles de presse ou encore dans des documents institutionnels portant sur le patrimoine mondial, sur le site historique de Lyon ou sur l’arrondissement historique de Québec.

Parallèlement à cette première série d’entretiens menés au plan local à Lyon et à Québec, nous avons repéré, à partir de travaux de seconde main essentiellement, les configurations d’acteurs structurées autour des politiques portant sur le patrimoine à Lyon et à Québec. Nous nous sommes alors efforcée de rencontrer les acteurs de ces configurations dont nous n’avions pas encore croisé le nom afin de comprendre comment et pourquoi ils étaient intervenus ou non dans la procédure d’inscription. Il s’agissait à travers cet investissement de resituer la procédure d’inscription dans les contextes locaux et surtout de comprendre comment patrimoine historique et patrimoine mondial sont liés (dans leurs définitions et dans les représentations de l’un et de l’autre).

Enfin, si le parti pris méthodologique comme les deux premières séries d’entretiens nous avaient déjà amenée à croiser des représentants d’administrations étatiques, de l’Unesco ou des membres de l’Icomos, enquêter auprès de tels acteurs s’est rapidement révélé intéressant pour comprendre comment le patrimoine mondial est pensé, au sein de ces organismes, à partir d’une définition occidentale, voire européenne, du patrimoine et ce que cela engendre comme tensions et enjeux au plan international, enjeux alors déclinés aux plans nationaux et locaux.

Les entretiens (semi-directifs) ont été réalisés dans des lieux variés : sur les lieux d’exercice professionnel, chez les enquêtés, à l’Entpe ou encore dans des lieux publics (cafés ou université). Ils ont systématiquement été enregistrés lorsque les enquêtés l’autorisaient et, le cas échéant, retranscrits intégralement. Les grilles d’entretien ont été construites autour de trois grands thèmes systématiquement abordés avec chacun des interviewés 1166 . Ces thèmes ont toutefois été déclinés et approfondis de façons différentes selon nos interlocuteurs en fonction de leurs positionnements ou, par exemple, de leur appartenance à telle ou telle organisation ou encore de leur disponibilité, lors de l’entretien, en termes de temps, mais aussi en termes de contenu 1167 . Le premier grand thème portait sur la procédure d’inscription telle qu’elle s’est déroulée à Lyon (resp. Québec). Il s’agissait alors d’abord de comprendre comment cette procédure est saisie au plan local, quels acteurs sont intervenus, quels sont ceux qui voulaient participer et ceux que l’on a impliqué d’office. Nous souhaitions ensuite comprendre comment ces acteurs procédaient pour parvenir à leurs fins (à qui font-ils appel ? à quel(s) savoir(s) ? où et comment peuvent-ils obtenir de l’information et des ressources ? etc.). Enfin, nous voulions repérer les raisons et les motivations de la mise en œuvre d’une telle action ainsi que les freins rencontrés. Des questions sur les relations, au cours de cette procédure, entre agents et élus municipaux, agents de l’État et représentants de l’Unesco étaient systématiquement posées. Nous avons obtenu des éléments de réponse à travers ce premier grand thème en demandant directement quelles étaient les motivations de différents acteurs partie-prenante (celles que nos enquêtés affichaient, celles que leurs collaborateurs ou leurs interlocuteurs avaient comprises, etc.). Le second thème, consacré à vous et votre (vos) organisme(s) de rattachement dans cette procédure, nous a notamment permis d’affiner ces réponses. Ces questions visaient, en outre, à comprendre comment les acteurs étaient déjà partie prenante de politiques portant sur le patrimoine, quels regards ils portaient sur la Liste du patrimoine mondial, sur les organisations internationales, sur l’action étatique dans ce domaine (ceci constituait alors des éléments complémentaires des travaux de seconde main dont nous disposions). Nous étions alors à même de repérer les marges de manœuvre et les opportunités d’action, comme les ressources de chacun des intervenants, ainsi que certains des obstacles qu’ils avaient rencontrés lors de la procédure d’inscription ou rencontraient au quotidien dans les pratiques de gestion du patrimoine historique. Le troisième grand thème était structuré autour des effets et des usages de l’inscription dans chacune des villes, avec une partie spécifique sur l’Ovpm. Il s’agissait alors de saisir les enjeux que représentait cette procédure pour nos interlocuteurs ou leurs institutions de rattachement en observant les réactions immédiates aux annonces des inscriptions sur la Liste, les actions que certains voulaient absolument élaborer et surtout en analysant les récits présentant, aux Lyonnais et aux Québécois, ces inscriptions et leurs conséquences au plan local. Nous nous sommes également attachée à comprendre les conflits autour de projets d’aménagement urbain mobilisant l’Unesco comme révélateurs de remise en cause des modes de régulations entre municipalités urbaines et Etat. Enfin, à la fin de chacun des entretiens, nous interrogions notre interlocuteur sur son parcours socio-professionnel, sa trajectoire personnelle ainsi que sur son intérêt pour le patrimoine et le patrimoine mondial et la définition qu’il en donnerait (notamment l’adhésion à des associations travaillant sur le patrimoine, l’Icomos, etc.).

Il est important de préciser que les entretiens menés auprès d’agents de l’Unesco ou de salariés de l’Icomos international, de l’Icomos France, de l’Icomos Canada ou de l’Ovpm reposaient sur des grilles d’analyses relativement similaires. Les questions étaient toutefois plus ouvertes pour laisser la place à des expériences ou des exemples autres que Lyon et Québec. Ces exemples nous ont notamment aidée à saisir la constitution d’enjeux liés au patrimoine mondial au sein de ces organismes comme dans les relations qui les lient. En outre, ces entretiens visaient à saisir comment la Convention du patrimoine mondial avaient été élaborée et comment elle est pensée au sein de ces organismes internationaux, ainsi qu’à identifier les évolutions qu’elle a subies (notamment en observant comment les activités initiées par les municipalités urbaines sont perçues par de tels acteurs).

Tous ces entretiens ne sont donc pas exploitables de la même façon et n’ont pas le même statut dans l’analyse menée.

Notes
1166.

Voir les exemples de grilles d’entretiens ci-dessous.

1167.

Les entretiens menés avec Jean Pelletier et Jean-Paul L’Allier sont des exemples les plus manifestes des évolutions de grilles d’entretien. Le premier ne voulait pas entendre parler de financement ou d’économie, le second ne disposait que de très peu de temps et vantait finalement à une étrangère les mérites de Québec dans la création et la structuration de l’Ovpm. Pour certains interlocuteurs, nous n’avons obtenu que des entretiens téléphoniques, ces individus nous assurant qu’ils ne pourraient rien nous apporter sur ce sujet (voir Denis Saint Louis, Hervé Desbenoit par exemple). Nous avons alors essayé de parler du patrimoine mondial à partir de leurs activités quotidiennes. Nous ne suivions alors que de loin les grilles d’analyse telles que présentées ici.