1. L’Afrique subsaharienne, une citoyenneté à construire

« La citoyenneté est à la fois un statut, correspondant à un ensemble de droits définis juridiquement, et une identité, reposant sur un sentiment d’appartenance à la collectivité politique ». Cette définition renvoie premièrement à la présence d’une collectivité nationale qui garantit des droits au citoyen. Elle suppose ensuite l’existence d’une identité commune à tous les citoyens, des valeurs qui soient partagées par tous.

Dans l’acception moderne, cette collectivité correspond à l’Etat-nation et la citoyenneté se fonde sur l’individualisme : le citoyen est un individu indépendant autonome qui transfère, par le vote, sa souveraineté à la nation. En tout cas, c’est cette collectivité politique, cet Etat, qui a été reproduit en Afrique subsaharienne « de façon imparfaite [et] en empruntant des chemins de traverse » 1 , avec son approche individualiste de la citoyenneté. La question du bien-fondé de cet Etat, de son inadaptation et de l’effectivité des droits garantis aux populations est plus que jamais d’actualité avec la crise de légitimité qu’il traverse. De même, on peut porter des jugements contrastés sur l’individualisation des comportements : relevant d’un idéal universaliste de modernité démocratique pour les uns, ce sont des vecteurs d’une occidentalisation ethnocidaire pour d’autres . Nous préférons plutôt insister avec R. A. Sawadogo sur la nature dynamique de la citoyenneté : « la citoyenneté n’est pas un ensemble de valeurs, de droits, inscrits dans un Etat de droit figé » ; « … la citoyenneté, comme la démocratie et la société, est (…) le produit de contradictions et de réglementations, de conflits et de consensus, de valeurs partagées et de confrontations d’idées d’autant plus intégratrices qu’elles s’opposent vigoureusement ».

La véritable question sur la citoyenneté en Afrique subsaharienne renvoie à notre sens sur la nécessité d’un ensemble de valeurs partagées par les membres d’une même communauté nationale. Les Etats africains sont des créations artificielles et récentes, des mosaïques ethniques qui ont souvent peu de proximité en termes de langue, de culture et de valeurs. D’après J.-P. Raison , le partage de l’Afrique par les colonisateurs n’était nullement guidé par une volonté de définir de futurs Etats, il s’agissait de constituer des entités spatiales gérables et disposant d’un poids économique suffisant pour s’autofinancer. Il fait appel à une citation de M. Foucher 2 pour situer les difficultés résultant des découpages frontaliers : « Si des frontières « posent problème » aujourd’hui, (…) c’est moins par ce qu’elles découpent que par ce qu’elles regroupent ». Notre propos n’est certainement pas de réclamer une remise en cause des associations ethniques effectuées lors de ces découpages. La plupart du temps, les aires ethniques et les anciens royaumes couvrent un faible espace géographique. A moins de recréer une « Afrique des villages », il sera difficile d’avoir des Etats parfaitement homogènes sur le plan des valeurs sociales. En outre, plus d’un siècle de « cohabitation nationale » a favorisé des brassages entre les différentes composantes ethniques qui font qu’une remise en cause ne pourrait se faire sans dommages et sans drames. Il convient plutôt de constater l’existence, aujourd’hui, « des territoires, des peuples, des constitutions, des républiques, des formes légales de pouvoirs séparés »et d’inverser la logique, de remettre les bœufs avant la charrue. C’est à partir de l’identité commune, des valeurs partagées que se définiront des règles de vie communes à tous les citoyens d’un Etat.

Notes
1.

Pour reprendre une expression de Badie B. (1992). L’Etat importé : l’occidentalisation de l’ordre public. Paris, Fayart, cité par R. A. Sawadogo [2001, p. 18]

2.

Foucher M. (1988). Fronts et frontières : un tour du monde géopolitique. Paris, Fayart.