2. La ville subsaharienne, un creuset national

Selon M.-A. Pérouse de Montclos , en Occident contrairement à l’Afrique subsaharienne, la culture urbaine a précédé la naissance des Etats. D’ailleurs, de l’Antiquité au 15ème siècle, le terme de citoyen renvoyait à la condition de citadin . La ville subsaharienne, en tant que creuset national, espace de rencontre, de confrontation et de brassage entre les différentes ethnies nationales, demeure le cadre privilégié de la construction de valeurs communes et de la citoyenneté. D’autre part, aussi critiquable soit-elle, « la révision, voire la remise en question de la coutume par la modernité urbaine tend à diminuer les spécificités ethniques »et à favoriser ainsi l’émergence d’une identité citoyenne. Selon M. Arnaud , « la ville est (…), par excellence, ce chantier permanent où s’élaborent des comportements innovants, de nouvelles valeurs et de nouveaux codes de sociabilité, en réponse aux contradictions nées de la confrontation des schémas hérités avec l’économie moderne et les conditions de vie urbaines ».

La ville subsaharienne a été, au départ, l’espace du colon, façonné par lui et pour lui . Le comptoir colonial ou le poste administratif s’étaient certes installés sur les terres d’une « tribu » locale. Mais le développement de l’activité économique dans la ville blanche avait progressivement attiré de nombreux ruraux venant d’autres territoires administrés par la colonie. La ville fut ainsi à l’origine des premiers contacts d’ampleur entre les différentes ethnies de la colonie, celles qui allaient bientôt se retrouver associées au sein d’un même Etat. Au milieu du 20ème siècle, les principales villes subsahariennes, capitales des jeunes Etats, devinrent le lieu préférentiel de l’exercice de l’autorité étatique. L’africanisation de la fonction publique parallèlement à son déploiement à hauteur des ambitions des jeunes Etats attira en son sein encore plus de migrants provenant des quatre coins du territoire national. Certes, les premières installations se faisaient par affinités culturelles. Cela n’empêchait toutefois pas un certain brassage de la population urbaine notamment sur les lieux publics. Si les migrations en direction des grandes agglomérations subsahariennes se sont ralenties avec la crise économique, ces grandes agglomérations restent le passage obligé, même temporaire, des habitants du pays, au moins de l’élite, pour la réalisation d’un certain nombre d’activités (scolarité, activités commerçantes, démarches administratives…). Elles demeurent ainsi le lieu de diffusion de « la modernité » dans le pays tout entier. D’autre part, l’aggravation des conditions de vie en milieu urbain a rendu moins exigeants les néo-citadins dans leur choix de localisation résidentielle, limitant leur regroupement sur des bases ethniques.

En dehors de ceux qui ont vu la ville se développer sur leurs terres ancestrales, elle signifie d’abord une distance physique entre le citadin et le « village » 3 . La ville impose ensuite au citadin d’échapper aux structures et règles de l’encadrement traditionnel. Après les dispositifs instaurés par l’administration coloniale, ce furent ceux adoptés par les Etats nouvellement indépendants. Il est fait grand cas de « l’indirect rule » anglais, par opposition à une administration française plus directe, ne faisant pas appel à des relais indigènes. Mais en milieu urbain, l’administration coloniale qu’elle soit anglaise, française ou lusophone, a très peu eu recours aux chefferies traditionnelles et dans tous les cas, ces dernières étaient soumises au contrôle de fonctionnaires coloniaux . Une fois l’indépendance acquise, les principales villes furent assujetties, au moins financièrement, au contrôle direct du gouvernement central. Certes, on y trouve des relais traditionnels à travers des regroupements communautaires de citadins issus de la même chefferie dont les responsables sont adoubés par le chef traditionnel qui réside au « village ». Ces responsables servent d’ailleurs de relais au pouvoir institutionnel. De même, l’attachement du citadin au « village » d’origine se manifeste par de fréquents va-et-vient entre la ville où il réside et le « village » où vit une partie de sa famille et où il possède parfois un logement et des biens . Outre que ces attaches s’effacent lors de la confrontation avec des citadins d’origine ethnique différente, pour une grande partie des jeunes qui naissent maintenant en ville, elles ne revêtent pas la même importance.

Notes
3.

La notion de « village » doit être comprise dans un sens large. Elle renvoie à la région d’appartenance du citadin et correspond à un village, un ensemble de villages ou une ville plus petite.