1. Un demi-siècle d’urbanisation à grande vitesse et de concentration urbaine

Bien avant la colonisation de l’Afrique subsaharienne, il existait des centre urbains abritant quelques dizaines de milliers d'habitants. J. Poinsot, A. Sinou et J. Sternadel nous proposent un aperçu de l’histoire de l’urbanisation subsaharienne. Koumbi Saleh, capitale de l'empire du Ghana, en zone sahélienne (bien plus au nord que le pays du même nom), a compté jusqu'à 30 000 habitants entre le 11ème et le 12ème siècle. Niani, capitale de l'empire du Mali, Gao, celle de l'empire Songhaï, Tombouctou, Djenné ont autrefois prospéré dans le bassin du Niger. Plus à l'est, Kano et les autres cités-Etats Haoussas, ainsi que les centres urbains yoruba traduisent le dynamisme urbain de l'Afrique occidentale pré-coloniale. Dans l'Est du continent, Addis-Abeba fut fondée en 1887 par Ménélik dans un pays n'ayant pas véritablement connu de colonisation européenne. L'Afrique centrale, à cause des conditions naturelles difficiles imposées par la forêt, n'aurait enregistré qu'une éphémère cité : Loango. Les auteurs avancent d’autres raisons pour justifier l’absence urbaine en Afrique centrale : contrairement à l’Afrique sahélienne, il n’y a pas eu de structures politiques fortes, l'économie n’y était pas développée et la religion – l’islam – n’y a pas contribué aux échanges. Les centres urbains cités plus haut sont tous, soit des centres politico-religieux, soit des centres d'échanges de biens, situés sur des trajets commerciaux, parfois les deux.

Mais c’est plus récemment que l’urbanisation subsaharienne a explosé. En 1950, l'Afrique subsaharienne comptait à peine 20 millions de citadins (11,5 % de sa population totale) ; en 2005, les estimations annoncent plus de 330 millions de citadins (41,4 % de la population totale) . C’est la région qui a enregistré la plus grande croissance de la population urbaine ces dernières décennies avec un rythme annuel dépassant parfois 5 % (Tableau 1). Cette croissance n'eut cependant pas la même ampleur partout. L’Afrique australe qui s’est urbanisée plus tôt que d’autres sous-régions – sans doute grâce aux importantes colonies de peuplement européennes et aux grandes exploitations minières – enregistre ainsi un rythme moins soutenu que l’Afrique orientale. En 1950, l’Afrique australe comptait 38 % de sa population dans les aires urbaines alors que celle de l’Afrique orientale était à 95 % rurale . Il existe également des disparités entre des pays de la même région. L'Ouganda, en raison de multiples conflits, a enregistré, en moyenne sur la période 1970-1980, moins de 4 % de croissance urbaine annuelle. Dans le même temps, le Mozambique et la Tanzanie affichaient une augmentation de leur population urbaine à un rythme moyen annuel supérieur à 10 % .

Tableau 1 : Taux d’accroissement moyens annuels de la population urbaine entre 1960 et 2005
Sur la période : 1960/65 1965/70 1970/75 1975/80 1980/85 1985/90 1990/95 1995/00 2000/05
Afrique 4,83 4,66 4,40 4,46 4,37 4,28 4,15 3,76 3,56
Afrique orientale 6,04 6,15 6,39 6,65 5,42 5,62 5,17 4,74 4,32
Afrique centrale 5,60 5,83 3,96 3,91 3,68 3,92 4,38 3,63 4,13
Afrique australe 2,99 3,03 2,84 2,69 2,83 2,70 3,62 2,56 1,47
Afrique occ. 5,36 5,28 5,32 5,53 5,40 5,27 4,94 4,69 4,22
PVD 4,15 3,74 3,65 3,9 3,87 3,78 3,21 2,99 2,76
Pays développés 2,12 1,80 1,51 1,25 0,97 0,97 0,75 0,6 0,52
Monde 3,08 2,76 2,63 2,72 2,67 2,72 2,35 2,22 2,09

Source : United Nations

La croissance urbaine subsaharienne résulte tant de l'augmentation de la population dans les villes que de la multiplication des aires urbaines. Le nombre d’aires urbaines a été multiplié par quatre entre 1975 et 2005 (Tableau 2). Pendant ce temps, le nombre de villes millionnaires est passé de quatre à 32. Le poids des agglomérations millionnaires n’a cessé d’augmenter dans la population urbaine de l’Afrique subsaharienne (Figure 1). En Afrique de l’est où elle est la plus faible, la part de la population urbaine résidant dans les agglomérations millionnaires est supérieure à 20 %. En Afrique australe, un citadin sur deux réside dans une agglomération millionnaire. L’urbanisation subsaharienne est macrocéphale, c’est-à-dire qu’il y a un rapport de taille important entre deux villes successives lorsque l'on considère la plus grande césure de la distribution. Elle se traduit souvent par un poids exorbitant de la première ville dans la répartition de la population urbaine du pays. Pour les moins importantes, la part de la population urbaine du pays qui réside dans la plus grande agglomération se situe autour des 20 % (Tableau 3). Dans les cas d’Abidjan, de Brazzaville, de Conakry, de Dakar, de Kampala et de Luanda, cette part est comprise entre 40 et 60 %. Le coefficient de primatialité, rapport de taille entre la première et la deuxième ville, s'est généralement amplifié avec l'explosion urbaine. Il ne s’agit bien entendu pas de réduire l’urbanisation et les réseaux urbains en Afrique subsaharienne à un unique modèle. Des disparités et des nuances existent selon les pays et le réseau urbain secondaire, celui des villes plus petites, reste dynamique. Une grande majorité des citadins africains y est localisée : 59 % de la population urbaine africaine pour les villes de moins de 500 000 habitants .

Tableau 2 : Evolution du nombre des aires urbaines en Afrique selon la taille, hors Afrique du nord
Année 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005
plus de 10 millions d’habitants 0 0 0 0 0 0 1
de 5 à 10 millions d’hab. 0 0 0 0 1 1 1
de 1 à 5 millions d’hab. 4 10 15 17 21 26 30
villes millionnaires 4 10 15 17 22 27 32
de 0,5 à 1 million d’hab. 15 15 22 25 28 33 39
moins de 0,5 million d’hab. 48 023 58 907 67 741 84 615 106 033 128 903 152 537

Les pays africains non pris en compte : Algérie, Egypte, Libye, Maroc, Sahara occidental, Soudan, Tunisie

Source : United Nations

Figure 1 : Evolution de la population des villes millionnaires subsahariennes par rapport à la population urbaine totale

Source : United Nations

Tableau 3 : Poids démographique des villes millionnaires d’Afrique subsaharienne les plus peuplées de leur pays en 2003
Agglomération Pays Population de l’agglo. Par rapport à la population du pays (en %) Par rapport à la population urbaine du pays (en %)
Abidjan Côte d'Ivoire 3,3 20 45
Accra Ghana 1,8 9 19
Addis-Abeba Ethiopie 2,7 4 25
Antananarivo Madagascar 1,7 10 36
Bamako Mali 1,3 10 30
Brazzaville Congo 1,1 29 54
Conakry Guinée 1,4 16 46
Dakar Sénégal 2,2 21 43
Dar es Salam Tanzanie 2,4 7 19
Douala Cameroun 1,9 12 23
Harare Zimbabwe 1,5 11 33
Kampala Ouganda 1,2 5 39
Khartoum Soudan 4,3 13 33
Kinshasa RD Congo 5,3 10 32
Lagos Nigeria 10,1 8 17
Luanda Angola 2,6 19 54
Lusaka Zambie 1,4 13 36
Maputo Mozambique 1,2 6 18
Mogadishu Somalie 1,2 12 34
Nairobi Kenya 2,6 8 20

Note : statistiques hors République Sud-africaine

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