b. Une immigration rurale

Les villes d'Afrique subsaharienne ont enregistré un nombre important de migrants en provenance de la campagne. Quelques chiffres avancés pour certaines agglomérations nous permettent d'apprécier son ampleur. Selon K. Mbuyi ,« seulement 7 % des chefs de famille sont nés à Kinshasa ; les autres viennent de l'intérieur, 60 % directement de la campagne » 10 . La part due à l'immigration dans l'accroissement de la population du Grand Khartoum entre 1956 et 1983 est estimée entre 60 et 70 % . Les recensements de 1976 et 1983 évaluent à 3,6 % et 2,0 %, les apports migratoires à l'accroissement annuel respectif de Yaoundé et Douala entre les deux périodes . Cet apport migratoire à la croissance annuelle atteint 7 % dans le cas d’Abidjan entre 1960 et 1990 . Si l'immigration rurale est un facteur essentiel de l'accroissement urbain en Afrique subsaharienne, tous les migrants ne sont pas nés dans les villages. D'autres ont d'abord transité par des petites villes avant de s'installer dans les grandes agglomérations. Les mobilités résidentielles sont complexes et ne doivent pas être réduites à un schéma simplifié de flux massifs des villages vers la grande ville.

Généralement, on attribue la raison de cette immigration à l'attrait qu'exerce la ville sur les populations rurales. L’immigration procède de la rationalité économique : on espère trouver un meilleur revenu en ville que celui perçu par l'agriculture. Une autre justification est avancée par M. Rochefort  : « les migrations des campagnes vers les villes sont plutôt dues à des facteurs d'expulsion au point de départ qu'à de véritables facteurs économiques d'attraction à l'arrivée ». Les campagnes des pays du Sud, dont celles d’Afrique subsaharienne, depuis le milieu du 20ème siècle, enregistrent un excédent chaque jour plus important des naissances sur les décès. Il faut trouver de nouvelles terres cultivables pour cet excédent et, sinon, émigrer vers de nouvelles terres ou plus généralement en ville. Nairobi et ses bidonvilles véhiculaient une image négative de ville de « sans-terres » auprès des paysans kenyans, mais le contexte foncier particulièrement contraint poussait les ruraux à migrer en ville dans l'espoir d'acquérir un capital d'achat de titre foncier . D'ailleurs, est-il judicieux de parler d'exode rural, comme il est très souvent question lorsque sont évoquées les caractéristiques démographiques de l'Afrique subsaharienne ? Certes, des flux migratoires importants ont eu lieu entre les campagnes et les villes, avec transit ou non par d'autres villes plus petites. Mais, globalement la population rurale du continent dans son ensemble a continué à progresser. Elle a pratiquement doublé entre 1960 et 2005, sa croissance annuelle a été de l’ordre de 2 % . Les campagnes ont également bénéficié de la propagation des progrès de la médecine. L'évocation "exode rural" peut laisser penser à un dépeuplement des campagnes au profit des villes, ce qui est loin d'être le cas.

Certains Etats africains ont vainement cherché à s’attaquer à la croissance urbaine à travers son volet migratoire. La mise en place de politiques agraires devait permettre, par une meilleure redistribution des ressources foncières, de fixer les populations rurales. Certaines de ces politiques envisageaient plutôt de développer un réseau de petits centres urbains, leur population restant essentiellement sur des activités agricoles.

Finalement, que ce soit à travers la croissance naturelle ou l'immigration rurale, la croissance urbaine subsaharienne trouve son explication dans la prospérité économique de l’ère post-indépendance. Elle a permis le développement des services de santé, la construction d'infrastructures propres à leur diffusion au-delà des aires urbaines. Les résultats ont été le maintien d’une forte fécondité, la baisse de la mortalité et l’allongement de l'espérance de vie. Le salariat urbain a amélioré les conditions de vie, rendu accessibles les biens de confort matériel et les produits alimentaires d'importation entraînant une hausse de la croissance naturelle et de l'immigration vers les villes. Cette prospérité économique a également eu d’autres effets ayant favorablement et indirectement influé sur la croissance urbaine subsaharienne : introduction de nouvelles cultures et techniques ayant pour effet de réduire la malnutrition et la famine, mesures d'hygiène…

Notes
10.

Probablement à la fin des années 1980.