1. Allongement des distances des déplacements intra-urbains

Un processus d’urbanisation non contrôlé…

Le processus de développement des grandes agglomérations est à peu près le même dans les pays d'Afrique subsaharienne. Il a été dans une très grande partie « non contrôlé par les pouvoirs publics », selon la terminologie utilisée par M. Coquery 18 . Malgré des nuances dans l’ordre, sur les périodes et sur la plus ou moins grande rigueur des mesures selon les pays ou les villes, nous pouvons globalement en faire l'analyse linéaire suivante. Les sites urbains datent de la période coloniale ou ont, au moins, fortement subi l'empreinte de cette période. Ils ont été conçus dans un esprit d'apartheid, de séparation nette entre la ville européenne et la ville noire. C'est de cet espace d'exclusion du plus grand nombre qu'ont hérité les pays nouvellement indépendants. Les villes, surtout les plus grandes, sont devenues des projets d'Etat. Elles devaient devenir des vitrines de la modernité des nouveaux Etats et attirer les investisseurs étrangers. Mais les pouvoirs publics n'ont pas su, ou pas voulu, tenir compte de la dimension d'exclusion qui faisait partie de l'héritage colonial. Les réactions ont, suivant le cas et selon les périodes, oscillé entre laissez-faire et politiques de destruction des quartiers spontanés. En l'absence d'une offre compensatrice suffisante, la population grossissante, nouveaux venus et déguerpis des quartiers détruits, s’installait de plus en plus loin. Dans un second temps, avec l'aide des institutions internationales, certains Etats ont mis en place des programmes d'amélioration des quartiers spontanés : construction de logements, assainissement, branchements aux réseaux… Cependant, les bénéficiaires en étaient peu nombreux et les taudis ont continué à se développer. Aujourd'hui, les Etats ont renoncé à des politiques interventionnistes d'envergure, les échecs s'accumulant et les ressources taries par la crise économique. Ils décentralisent leurs compétences auprès de municipalités encore plus désargentées que les administrations centrales.

La ville africaine est en grande partie le résultat d’une production « par le bas ». L'offre en logements respectant les standards en termes d'hygiène et d'urbanisme s'est très tôt révélée insuffisante pour satisfaire l'afflux massif des néo-citadins. Parfois, elle s'avérait inadaptée à la demande, parce que ne tenant pas compte des pratiques d'habitation ou des conditions climatiques locales. Certains programmes de logements furent détournés au profit des responsables et des classes moins pauvres. Faute de logements, les néo-citadins, comme les natifs défavorisés, peuplèrent les quartiers spontanés dans des proportions considérables (Tableau 5). Selon G. Prunier , les bidonvilles abritent plus de 60 % de la population de l'agglomération de Khartoum 19 . Ces quartiers se caractérisent par la promiscuité, la surdensité, et la taudification. Les constructions en matériaux précaires offrent des logements exigus, inconfortables et aux conditions d'hygiène déplorables.

Tableau 5 : Poids démographique des quartiers informels ou illégaux dans quelques grandes villes subsahariennes
Agglomération % de la population habitant dans les quartiers informels ou illégaux
Addis-Abeba 85
Mogadishu 80
Bangui 75
Luanda 70
Nouakchott 64
Dar es Salam 60
Ouagadougou 60
Lusaka 50
Nairobi 33-40
Abidjan 21
Dakar 20

Source : D. Simon

L'illégalité des constructions trouve en grande partie sa justification dans la difficulté d’obtention d’un titre foncier. La plupart des Etats subsahariens ont conservé des règles datant de l'époque coloniale, élaborées alors pour ôter aux autochtones leur droit foncier. L'anarchie administrative et la corruption sont venues compliquer ce monopole foncier de l'Etat. Le citadin pauvre, en construisant, soit se dit que c'est du temporaire – on peut soupçonner ici une raison à l’accentuation de la qualité précaire des constructions –, soit fait le pari de la légalisation de son logis. Les populations citadines essaient de contourner des normes étatiques quelquefois d'une rigueur inadaptée : auto-construction et sous-location d'une partie du bail pour contourner les difficultés d'obtention du permis de construire, petits métiers pour vendre de l'eau potable, évacuer les déchets et les eaux usées… Le secteur informel joue un rôle central dans ce défi quotidien. Il répond aux besoins en logement et en services d’une grande partie de la population qui se trouve exclue du système moderne et constitue de plus en plus la principale source de revenus de cette population.

Notes
18.

Le terme « spontané » est plus souvent utilisé pour caractériser cette urbanisation « non contrôlé(e) par les pouvoirs publics, c’est-à-dire donnant lieu à une identification et à une occupation de terrain non enregistrées par les services du cadastre (…), par le services des domaines, par la conservation des hypothèques, bref ne donnant pas lieu, au moins pour un temps assez long, à immatriculation. Il [le processus] est aussi non contrôlé par les services de l’urbanisme, appelés à se prononcer sur l’affectation des sols, par des réglementations appropriées, et donc processus qualifié d’irrégulier, voire d’illégal. » [Coquery, 1991, p. 199].

19.

Probablement au début des années 1990.