b. …qui a entraîné un étalement et une dissociation fonctionnelle de l’espace urbain

L'urbanisation subsaharienne se caractérise par des densités faibles sur des aires étendues et une différentiation fonctionnelle de l’espace urbain. Pour J. M. Cusset , c’est particulièrement le cas à Ouagadougou qui « a vu son périmètre s’accroître fortement [dans les années 1980 et au début des années 1990] en raison à la fois d’une urbanisation périphérique mal contrôlée et de faible densité de l’habitat ». Alors que les quartiers périphériques de la ville ont une fonction essentiellement résidentielle, les quartiers centraux accueillent les activités tertiaires « modernes », les administrations et les grands équipements. Différentes sources croisées par D. Plat nous permettent d’apprécier l’extension spatiale de Dar es Salam. Alors que la population de la ville a été multipliée par quatre entre 1968 et 1988 (20 ans), l’aire urbaine a été multipliée par cinq sur une période plus courte, entre 1968 et 1982 (14 ans). En 1969, l’étendue maximale de la ville était comprise entre 6 et 10 km ; en 1978, elle est passée à 15 km ; au début des années 1990, elle variait entre 25 et 30 km. Pourtant, « la plupart des zones d’activité économique et d’emplois restent concentrées dans un périmètre restreint ». D. Plat note un processus identique d’extension spatiale et de différentiation fonctionnelle à Bamako, à Niamey et à Ouagadougou. V. Ongolo Zogo constate également la dissociation fonctionnelle de l’espace urbain à Yaoundé, en y ajoutant un autre aspect, celui de la localisation des plus pauvres : « Le quartier commercial et la cité administrative restent au centre et les quartiers populaires en périphérie ».

Du fait de la saturation des quartiers centraux, la croissance de la population urbaine s'effectue surtout en périphérie. La Figure 5 illustre bien ce phénomène dans l'agglomération d'Abidjan. Les zones périphériques, les plus peuplées, sont pourtant les moins bien loties en équipements et en emplois. A Abidjan, la partie sud de l’agglomération (qui recoupe à peu près les communes centrales de la Figure 5) concentre 60 % des emplois, dont 85 % des emplois industriels alors qu’elle n’abrite qu’un tiers de la population . A Lagos, en 1995, la part des habitants résidant à plus de 10 km de leur lieu de travail a été estimé à 35 % . La rapidité de l'expansion périphérique permet difficilement aux équipements et aux emplois modernes de suivre. Les activités informelles les plus rémunératrices restent également concentrées dans les noyaux centraux. A Conakry, comme à Douala, une enquête auprès de citadins pauvres montre que « pouvoir se rendre « en ville » permet d’accéder à des activités plus rémunératrices »  : les commerçantes des marchés Niger et Madina à Conakry et les commerçantes du Marché central à Douala gagnent plus que leurs consœurs qui travaillent « au quartier ». La dissociation emplois/habitats relève aussi des incohérences des politiques d'aménagement et d'une absence de la prise en compte de la mobilité quotidienne dans les choix. P. Sakho s’interroge ainsi sur la pertinence des projets dakarois d'aménagement de nouveaux services commerciaux et administratifs, dont une partie dans le secteur du Plateau (hypercentre administratif) et qui auront pour effets de renforcer son attraction. Lorsque les aménagements sont envisagés en périphérie, ce n'est pas pour autant que la dimension mobilité est prise en compte. A Yaoundé, H. Ngabmen dénonce « l'absence de prise en compte du critère facilitation de la mobilité et de l'accessibilité aux transports dans les décisions de localisation des équipements publics (…) illustrée par la création d'une nouvelle université à Soa – à 20 km du campus universitaire de Ngoa-Kélé (…) – sans prévoir ni logements étudiants autour de ce nouveau site, ni la réhabilitation de l'unique voie qui la dessert ».

Figure 5 : Répartition et évolution entre 1988 et 1998 de la population des dix communes d'Abidjan

Source : A. Adoléhoumé et Z. Bi Nagone

La croissance des grandes agglomérations entraîne-t-elle alors une marginalisation des plus pauvres par leur éloignement aux emplois et aux services urbains ? L. Diaz Olvera et al se sont intéressés à la localisation spatiale des plus pauvres à Bamako dans le cadre d’une enquête sur la mobilité des citadins en 1993. A partir des caractéristiques socio-économiques des individus, de l'activité du chef de ménage, du type de logement ou de son niveau d'étude, ils nous proposent une distribution qui prend en compte le niveau de ressources individuelles et le niveau de ressources du ménage (Tableau 6). Dans la typologie spatiale, il faut entendre par « périphéries accessibles » et « périphéries enclavées », les zones proches ou non des voies bitumées. L'éloignement des plus pauvres au centre se traduit plus par un éloignement aux principales voies d'accès que par une distribution en couronnes concentriques selon le niveau de ressources. D'ailleurs, il est rarement question dans les villes d'Afrique subsaharienne de séparation nette entre couronnes aisées et couronnes moins aisées. On est plutôt en présence d’une urbanisation en « îlots de richesse » dispersés dans un « océan de pauvreté ». Des zones plus proches du centre peuvent abriter des populations considérées comme parmi les plus pauvres. Certes, les quartiers à la frange des villes, non lotis, non équipés, occupés par les nouveaux migrants présentent plus de contraintes que les quartiers populaires près des centres administratifs disposant de quelques branchements aux réseaux urbains (eau potable, eaux usées, électricité et voirie). Le problème d'accessibilité se pose notamment avec plus d'acuité pour les populations les plus éloignées du centre, lieux des activités et des services.

Tableau 6 : Résidence selon la pauvreté individuelle et collective à Bamako en 1993
  Centre Périphéries accessibles Périphéries enclavées
Pauvres dans des ménages pauvres 15 % 12 % 73 %
Pauvres dans des ménages "riches" 15 % 49 % 36 %
"Riches" 13 % 56 % 31 %

Source : L. Diaz Olvera et al.

L'éloignement habitats/activités et services allonge les distances de déplacements intra-urbains. Il oblige à un plus grand recours aux modes motorisés, sinon mécanisés, pour la plupart de ces déplacements. La croissance des agglomérations subsahariennes, par son étalement horizontal et la dissociation fonctionnelle de l’espace urbain, constitue donc un facteur d’accroissement des besoins en transport, c’est-à-dire une demande pour les catégories de déplacements qui, par leur distance importante, sont plus susceptibles que d’autres d’inciter à un recours à une traction mécanique ou animale. Et, si la concentration des activités dans les noyaux anciens en fait une destination prioritaire pour une grande partie des déplacements, la croissance démo-spatiale multiplie les origines/destinations possibles des déplacements urbains, complexifiant ainsi la distribution spatiale des flux. En outre, le recours à un mode mécanisé de déplacement génère un coût d’acquisition et un coût d’usage. L’allongement des distances, en incitant à un plus grand recours aux modes mécanisés, se traduit donc par un coût de mobilité urbaine plus important. Dans le même temps, comme nous le notions plus haut, le renchérissement du coût de la vie et la baisse du pouvoir d’achat dégradent les conditions de vie en milieu urbain.