2. Sites contraints et réseaux viaires limités : concentration des déplacements longs sur quelques axes d’accès au centre

En concentrant les emplois et les services, le centre concentre également les flux de mobilité sur ses voies d'accès. En outre, les grands flux se retrouvent principalement en début et en fin de journée, aux heures d’ouverture et de fermeture des activités. D. Plat note ainsi que « au delà [des] différences entre villes, on observe une même concentration temporelle des flux puisqu’au moins deux déplacements sur cinq (40 % à Niamey, 46 % à Ouagadougou, 47 % à Bamako) sont réalisés en seulement 4 heures 30 ». Or les contraintes imposées par les sites des grandes agglomérations subsahariennes pèsent particulièrement sur ces axes. Les presqu’îles, les zones lagunaires et les villes fluviales obligent à recourir à de coûteux ouvrages de franchissement pour relier les centres au reste de l’agglomération. L’adossement à la mer, en limitant les directions des fronts d’urbanisation, réduit de fait le nombre de voies d’accès au centre.

Lorsque, au 19ème siècle, les Européens entreprennent de développer leurs comptoirs maritimes pour exporter les produits de plantation, ils bouleversent le paysage urbain de la région. Les villes d'intérieur perdent leur activité commerciale et déclinent au profit des localités littorales. Ces dernières, avec la conquête effective des hinterlands, deviendront pour la plupart le siège de l'administration coloniale. Des postes administratifs et militaires sont créés à l'intérieur du territoire et seront à l’origine de nombreuses villes. Un rapport des Nations Unies a recensé 32 villes de plus de 750 000 habitants en Afrique subsaharienne en 2000 (hors République Sud-africaine, Tableau 7). Sur les 23 villes millionnaires en 2000, 10 ont une localisation littorale et, sur les 13 comptant au moins 1,5 million d’habitants, 7 sont littorales. Si nous prenons en compte les agglomérations qui se sont développées sur les rives d’un lac (Kampala) ou sur une seule rive d’un grand cours d’eau (Brazzaville et Kinshasa) – ce qui impose les mêmes contraintes en termes de développement spatial qu’une localisation littorale – les rapports passent à 12 sur 23 pour les villes millionnaires et 8 sur 13 pour les villes de plus de 1,5 million d’habitants. La colonisation a donc favorisé le développement de villes côtières pour les besoins de l’exportation et de liaison avec la métropole. Outre un accès facile à la mer, la localisation des Européens privilégiait des sites défendables. Ces presqu'îles, zones lagunaires et cités fluviales, imposent aujourd’hui des configurations spatiales particulièrement contraintes aux grandes agglomérations subsahariennes. Elles ont du mal à répondre aux exigences des pressions démographiques qu'elles connaissent actuellement et intensifient les difficultés quotidiennes des citadins : embouteillages de la circulation automobile sur les rares voies d'accès aux centres, peu d'espaces disponibles pour l'élimination des ordures, intrusion d'eau salée dans les nappes aquifères, inondations à cause de la hauteur des nappes…

Si certaines agglomérations ne rencontrent pas de difficultés du fait de la nature de leur site, elles ont toutes du mal à aménager leur voirie au rythme imposé par leur croissance démo-spatiale. L’essentiel des voies bitumées se trouve dans les anciens noyaux urbains et date de l’époque d’avant les crises économiques. D’après une étude TRL , le réseau viaire d’Addis-Abeba est 3 à 4 fois en-dessous des exigences : « …the road coverage of the city is not more than 5 to 7 percent of urbanized area as compared to about 15 to 20 percent considered to be acceptable on the basis of general norm ». Le réseau de voirie principale de Dar es Salam est essentiellement composé de quatre grands axes radiaux et deux liaisons transversales. Entre 1980 et 2000, alors que son aire urbaine a été multipliée par 2,6 et sa population par 2,3, le linéaire de voirie de Yaoundé est passé de 500 km à 700 km , soit une augmentation deux fois moindre que l’extension géographique et la croissance démographique. Un telle évolution du linéaire de voirie est très loin des prévisions d’augmentation du trafic constatées à Abidjan, 7,7 % par an . De plus, la plupart des réseaux sont fortement dégradés faute d’entretien et parce que, en même temps, très sollicités. Avec la crise des ressources publiques que connaissent les Etats subsahariens, il peut difficilement être envisagé un rattrapage à court terme sur ce plan.

Tableau 7 : Une importante localisation littorale des villes de plus de 750 000 habitants en Afrique subsaharienne

Source : United Nations

L’urbanisation subsaharienne se traduit par un fort étalement spatial, repoussant de plus en plus les frontières des villes, rallongeant les distances intra-urbaines et multipliant les origines et destinations possibles des déplacements urbains. Elle est marquée par un déséquilibre important entre des périphéries populaires et sous-équipées et un centre concentrant la majorité des activités et des emplois, obligeant à de longs déplacements. En dehors du facteur croissance démographique, l’allongement des distances, en incitant à un plus grand recours aux modes mécanisés, est susceptible en soi d’augmenter les besoins en transport. X. Godard et P. Teurnier estiment ainsi que l’augmentation des besoins en transport en Afrique subsaharienne est plus élevée que la croissance urbaine : il y a plus de personnes à transporter, mais sur des distances a priori plus grandes. Or les réseaux viaires des agglomérations subsahariennes sont très limités, confinant les besoins grandissants en transport de leurs habitants sur un très faible nombre d’accès aux centres.