Conclusion du premier chapitre :

En quelques décennies, l’Afrique subsaharienne a vu se former de grandes concentrations urbaines de façon non contrôlée. La faiblesse des ressources, l’inefficacité des pouvoirs publics et le rythme élevé de la croissance urbaine ont eu raison des différentes tentatives de planification. Le développement des agglomérations subsahariennes se fait par un étalement horizontal et une différenciation fonctionnelle très marquée de l’espace urbain. Le faible niveau d’équipement en services publics et en infrastructures se fait surtout ressentir dans les extensions périphériques.

S’il est noté un ralentissement de son rythme, la croissance démo-spatiale des grandes agglomérations subsahariennes continue. La crise économique que connaissent les Etats africains, en même temps qu’elle dégrade les conditions de vie et d’accès aux soins des citadins, ne leur permet pas de faire face plus efficacement aux grandes épidémies telles que le SIDA. L’augmentation, jusque-là régulière, de l’espérance de vie s’en ressent. Des stratégies de crise avec des conséquences de baisse de fécondité sont également notées. Quant à l’immigration rurale, la ville et ses lumières altérées par la conjoncture économique attirent moins. La baisse de la croissance urbaine relève aussi de raisons structurelles. D’un côté, la diffusion de la médecine, des règles d’hygiène et d’une alimentation plus riche tendent vers leur limite asymptotique. De l’autre, aidée par le niveau d’instruction et les moyens de communication, la sensibilisation aux pratiques antinatalistes commence à porter ses fruits. Toutefois, le nombre de néo-citadins, chaque année, est très important dans les grandes agglomérations subsahariennes. En chiffres absolus, il peut être bien plus important que par le passé. Fort des acquis de la médecine et compte tenu des effets d’inertie, la croissance naturelle reste importante. Et si la ville attire moins, elle ne provoque pas des fuites d’ampleur. Elle reste le passage obligé pour la réussite. En outre, certaines campagnes africaines, saturées, ne peuvent accueillir le surplus démographique urbain. Pour une grande partie des jeunes qui constituent la majorité de la population urbaine subsaharienne, nés en ville pour la plupart, la campagne reste terrae incognitae.

En plus du fait que la croissance démo-spatiale des grandes agglomérations subsahariennes s’est faite de manière anarchique, elle cause un important déséquilibre des réseaux urbains nationaux. Elle constitue un double biais pour le développement économique des Etats subsahariens : parce qu’elle a précédé l’industrialisation, elle crée une main d’œuvre plus importante que l’offre d’emplois ; elle est à l’origine de grands déséquilibres territoriaux entre grandes agglomérations – parfois en périphérie du territoire national – et zones rurales. Mais, si pendant un demi-siècle les Etats subsahariens n’ont pas réussi à maîtriser leur urbanisation, comment pourraient-ils y arriver alors qu’ils sont actuellement en crise 20  ? Compte tenu des rôles politiques (capitale des Etats), économiques (sièges sociaux des entreprises, infrastructures financières, port…) et sociaux (grands équipements publics) des grandes agglomérations subsahariennes, des mesures brutales peuvent affecter le développement économique des pays, voire leur stabilité politique. Combler les déséquilibres des réseaux urbains ou entre villes et campagnes nécessitera du temps. Parallèlement à ces nécessaires et profondes mesures, il convient, pour l’Afrique subsaharienne, de faire face aujourd’hui à la croissance démo-spatiale de ses grandes agglomérations.

L’augmentation de la demande de déplacements constitue une des conséquences de la croissance démo-spatiale des grandes agglomérations subsahariennes. De plus, les distances intra-urbaines augmentent avec la taille des agglomérations. La différenciation fonctionnelle de l’espace urbain oblige à de longs déplacements, notamment sur les liaisons domicile-travail. Comme nous le confirmera l’analyse de la distribution des flux de mobilité à Conakry, à Dakar et à Douala (Chapitre 4), une grande partie de cette demande de déplacements concerne des liaisons centre/périphérie aux heures de pointe. Et ces besoins grandissants ne disposent que d’un nombre limité de voies d’accès au centre pour se réaliser. Dans le même temps, nous assistons à un retrait de la puissance publique de la production et de l’aide à l’accès aux services urbains, dont les transports urbains. Le citadin subsaharien de moins en moins assisté par la puissance publique voit se dégrader son pouvoir d’achat. L’offre de transport urbain dans les agglomérations subsahariennes peut-elle efficacement faire face à ces évolutions combinées de la demande de déplacements et des capacités à payer des usagers ?

Notes
20.

Une crise qui n’est pas qu’économique. Nous renvoyons le lecteur aux réflexions de R. A. Sawadogo [2001] auxquelles nous ferons appel plus loin (Chapitre 6, section II-2-b).