1. Les modes individuels, un très faible niveau d’équipement des ménages

L’automobile, un rêve inaccessible pour le plus grand nombre

L’Afrique est très faiblement motorisée ; elle ne détient que 2 % du parc automobile mondial (dont 40 % pour la seule Afrique du Sud) alors qu’elle abrite un huitième de la population de la planète . Le taux de motorisation du continent est de 14 automobiles pour 1 000 habitants . A partir de plusieurs sources, D. Plat nous propose les taux d’équipement des ménages dans plusieurs villes subsahariennes (Tableau 8). Bien que les villes concentrent l’essentiel du parc automobile, le niveau d’équipement y est faible. Dans plusieurs villes (Bamako, Dakar, Dar es Salam, Lomé, Niamey), le taux de motorisation est estimé entre 20 et 60 ‰ . De plus, la possession d’un véhicule par le ménage ne se traduit pas par sa disponibilité pour tous les membres du ménage. « La voiture du ménage est (…) d’abord et surtout la voiture de l’homme chef de ménage » . Si les autres membres du ménage peuvent y avoir un accès de temps en temps, surtout en tant que passagers, ce sont les chefs de ménage qui en ont la disponibilité permanente. La voiture particulière dans les villes subsahariennes est ainsi réservée à un très faible nombre de personnes.

Tableau 8 : Taux d’équipement en modes individuels dans différentes villes subsahariennes
Tableau 8 : Taux d’équipement en modes individuels dans différentes villes subsahariennes
 
 
Année
% des ménages possédant au moins un véhicule
Vélo 2 roues mot. Voiture
Accra 1998/99 7   9
Bamako 1993 20 53 22
Conakry 1990/91 6* 14
Dar es Salam 1991/92 20 6 15
Douala 1983/84   26 8
Libreville + Port Gentil 1993/94     13
Mombasa 1997 19 0 5
Nairobi 1997 8 0 12
Niamey 2000 13 18 12
Ouagadougou 1992 55 85 17
Yaoundé 1983/1984   6 13

*Bicyclette et deux-roues à moteur confondus

Source : D. Plat

Selon J.-P. Daloz , « la voiture est devenue en Afrique noire un élément essentiel de distinction sociale ». Elle constitue un des symboles par excellence du modèle urbain de réussite, un signe ostentatoire de richesse. Son image positive va au-delà de la minorité motorisée. Les enquêtes de mobilité réalisées à Bamako (1993), Niamey (1996) et Ouagadougou (1992) par le Laboratoire d’Economie des Transports (LET) ont cherché à mesurer les opinions qu’ont les citadins des différents modes de transport à leur disposition . Il s’agissait de caractériser chaque mode en fonction de son aptitude à satisfaire les demandes des citadins. A Niamey et à Ouagadougou, où elle faisait partie des modes sur lesquels étaient interrogés les citadins, la voiture particulière a obtenue un score – traduisant l’aptitude à satisfaire aux demandes des citadins – de loin le plus élevé. Quels que soient les critères tels que le sexe de l’individu enquêté, son âge, sa position dans le ménage, son activité ou encore son niveau de revenu, malgré un coût qui est jugé élevé, la voiture particulière obtient le score maximal. A Ouagadougou, l'automobile revêt une image de liberté de mouvement, de gain de temps, de protection face aux accidents, aux intempéries et aux vols ; mais pour 95 % des interrogés, « elle ne permet pas de dépenser peu d'argent » .

La faiblesse de la motorisation en Afrique subsaharienne s'explique logiquement par son coût inaccessible à la majorité de la population. Coût d’acquisition, taxes à l'importation, carburant et entretien sont autant de dépenses onéreuses compte tenu du pouvoir d'achat des citadins. D. Plat nous donne quelques éléments d’appréciation de son coût par rapport aux revenus des citadins : des voitures d’occasion, bien moins chères que les véhicules neufs, coûtant 8 000 FF dans les pays du Nord, sont revendues jusqu’à trois fois ce prix en Afrique ; et un usage quotidien nécessitera de l’ordre 50 000 F CFA. Il met ensuite ces montants en regard des niveaux de salaires minima officiels en Afrique subsaharienne : 25 000 F CFA ! La croissance de l’économie de la période post-indépendance avait entraîné le développement du parc automobile. Dans les années 1980, la crise économique a inversé le processus de motorisation dans les grandes agglomérations subsahariennes. A Abidjan, le nombre de véhicules par ménage est passé de 0,209 en 1977 à 0,175 en 1988, soit une baisse de près de 20 % en 10 ans . X. Godard et P. Teurnier pensent que cette réduction doit se comprendre en termes relatifs : le parc a stagné tandis que la population a augmenté.

Du fait de la contraction du pouvoir d’achat des citadins, pour ceux qui en ont encore la possibilité, le choix se tourne désormais vers le marché des véhicules d'occasion. D’après les enquêtes du LET, en 1993, 5 % des ménages bamakois ont acquis un véhicule neuf contre 17 % qui l’ont acheté d’occasion ; à Ouagadougou en 1992, la distribution est quasi-identique : un véhicule neuf pour 2 % des chefs de ménages, un véhicule d’occasion pour 15 % des chefs de ménages . Il y a eu un ralentissement net de l'achat de véhicules neufs, entraînant un vieillissement du parc. Les mesures de renouvellement des parcs européens ont mis sur le marché un nombre important de véhicules d'occasion qui ont trouvé des débouchés en Afrique subsaharienne. Les ports de Cotonou et de Lomé sont ainsi devenus des points de transit importants de véhicules à destination de l’intérieur du continent. A Lomé, la moitié des véhicules d’occasion importés (entre 25 000 et 40 000 par an entre 1996 et 2000) était convoyée ensuite vers le Sahel . X. Godard et S. Bamas misent cependant sur une diminution à terme des importations de véhicules d'occasion : les technologies embarquées de plus en plus sophistiquées ainsi que l'équipement nécessaire à leur entretien sont de moins en moins accessibles aux artisans réparateurs subsahariens, ce qui signifiera, pour les citadins africains, un accès encore plus difficile à la motorisation.

Dans une moindre mesure, les deux-roues à moteur restent hors de portée de la plupart des budgets des citadins africains. Le taux d’équipement des ménages est très faible dans la plupart des villes africaines, parfois inférieur à la possession d’automobile (Tableau 8). Malgré un coût tiré vers le bas par l’explosion de l’activité moto-taxi (développement des circuits de distribution, implantation d’une usine de montage), il faut débourser de l’ordre de 400 000 F CFA pour acquérir une moto à Douala. A partir d’enquêtes à Dar es Salam (1992), à Niamey (1996) et à Ouagadougou (1996), D. Plat estime que la dépense moyenne mensuelle pour un deux-roues à moteur atteint 12 800 F CFA, dont les deux-tiers pour le carburant. « Même si le deux-roues à moteur est nettement plus abordable que la voiture, il demeure d’un coût mensuel deux fois supérieur à celui pour les transports collectifs par les individus les ayant utilisés la veille ». Pour les citadins interrogés à Bamako, à Niamey et Ouagadougou, ce mode se place entre la voiture et le vélo en termes de satisfaction de la demande . S’il est moins coûteux que l’automobile, il n’en a pas le même prestige, la même valorisation auprès des citadins africains, ni un confort identique. D’un autre côté, par rapport au vélo, la traction motorisée le rend moins pénible mais, par contre, renchérit son coût.