2. Une offre de transport collectif essentiellement artisanale

a. Des formes artisanales de transport qui ont supplanté l’exploitation entrepreneuriale

Jusque dans les années 1980, le début des années 1990 pour certaines, la plupart des grandes agglomérations subsahariennes disposait d'une entreprise d’autobus qui assurait une grande partie de l’offre de transport collectif. Le modèle dominant était l'entreprise mixte associant des capitaux publics à des fonds privés, le groupe Renault Véhicules Industriels (constructeur d'autobus) principalement dans les pays francophones. Les pouvoirs publics concédaient à l'entreprise le monopole des transports publics tout en fixant les tarifs. Mais la plupart de ces entreprises ont disparu et n’ont pas toutes été remplacées. Celles qui survivent encore ont vu leur part modale se réduire considérablement. Nous reviendrons plus loin (Chapitre 6, Section II-2) sur les raisons de l’échec de l’exploitation de transport par autobus. Aujourd’hui, l’essentiel de l’offre de transport collectif est assuré par les artisans. La part de marché des artisans représente plus de 60 % à Abidjan et à Nairobi ; le transport public est pour plus de 90 % le fait des artisans à Dakar, Dar es Salam et Harare ; à Bamako et à Yaoundé, les entreprises d'autobus ont disparu (Tableau 10).

Tableau 10 : Le secteur artisanal, dépositaire du service de transport public dans les agglomérations subsahariennes
  Annéei Part modale du secteur artisanal dans les transports collectifs
Abidjan 1998 65 %
Bamako 2000 100 %
Cotonou 1998 100 %
Dakar 2000 95 %
Dar es Salam 1999 98 %
Doualaii   100 %
Harare   96 %
Lomé   100 %
Nairobi   70 %
Ouagadougou   75 %
Yaoundé   100 %

iSi l’auteur ne fournit pas de date pour certaines statistiques, le texte qui les accompagne semble les situer au début des années 2000

iiA la fin de 2000, une entreprise privée de transport par autobus a été mise en service, mais son offre reste très réduite (cf. Annexe 1)

Source : X. Godard

Si certains auteurs privilégient le terme « transport informel », X. Godard et P. Teurnier dénoncent une connotation négative des « formes de transport que de nombreux experts et responsables se proposaient d'éliminer rapidement pour accompagner le développement » et relevant d'une vision « européano-centriste ». Selon eux, ce terme désigne, par méconnaissance, une absence de règle et d'organisation. X. Godard et P. Teurnier regrettent qu’on associe ces formes de transport au secteur informel qui, par définition, couvre des activités individuelles proches de la survie, technologiquement rudimentaires, avec une mise de capital très faible et une absence d’accumulation liée à la faiblesse des surplus d’activité. Or, ces systèmes de transport motorisés permettent des revenus aux conducteurs pouvant largement dépasser les salaires dans le secteur formel. Ils exigent un coût d’acquisition des véhicules important par rapport au revenu moyen. Et s’ils sont aléatoires, le surplus qu’ils peuvent assurer aux propriétaires est équivalent à un bon salaire. X. Godard et P. Teurnier pensent que le terme informel peut être employé par rapport « à une définition plus puriste, « formelle » et comptable des activités économiques ». Ils notent pourtant des pratiques comptables hors normes de certaines entreprises d’autobus de transport urbain : non paiement des taxes et charges sociales, comptabilité approximative n’intégrant pas l’ensemble des flux monétaires générés par l’activité. X. Godard et P. Teurnier reconnaissent cependant une certaine « informalité » dans le caractère aléatoire de l’activité : les pannes ou les accidents nécessitant de grosses réparations peuvent immobiliser le véhicule longtemps ; l’activité comporte une menace de cessation potentiellement importante compte tenu des rapports difficiles avec les agents de l’ordre. Les risques qui pèsent sur l’activité poussent à une gestion des contraintes immédiates au détriment d’une rationalité sur le long terme. Plutôt qu’une absence de forme, c’est « la mouvance du système qui évolue tellement vite [pour s’auto-entretenir dans un contexte d’incertitude et de menaces] que l’on ne peut saisir la forme exacte ».

X. Godard et P. Teurnier proposent plutôt le terme artisanal « pour désigner ces modes de transport dont la propriété est atomisée, l’exploitation soumise à certaines règles externes et internes à la profession et dont les opérateurs déploient un savoir-faire suffisant pour assurer une activité efficace ». Ils précisent toutefois que ce terme n'est pas non plus tout à fait satisfaisant en raison d'une dissociation fréquente entre propriétaire et conducteur. Si de rares cas de concentrations sont signalés, l'activité reste globalement atomisée. Le terme « micro-entreprise » employé parfois pour désigner l’activité devrait être limité à « ce que pourrait être un secteur artisanal entrant dans un processus de concentration des moyens de production et d'organisation collective » . Il convient de préciser que le transport artisanal, bien que se situant d'une façon ou d'une autre à la marge de la réglementation, n'est pas forcément illégal. En effet, l'activité nécessite l'utilisation d'une licence de transport, à la différence des clandestins qui sont, pour la plupart, des particuliers utilisant leur véhicule personnel à des fins de transport de personnes et travaillant à la maraude. Il est vrai que dans la plupart des cas, cette licence correspond à une simple formalité assortie « d'un cadeau » au fonctionnaire chargé de l'établir.