b. Les grands traits caractéristiques du transport artisanal en Afrique subsaharienne

Si ces formes de transport sont si difficiles à désigner, ne serait-ce pas parce qu'elles couvrent un large éventail de type de véhicule ? Elles vont du pousse-pousse tracté à l'énergie humaine dans certaines localités de Madagascar à des cars de grande capacité, en passant par des moto-taxis. Toutefois, la traction animale ou humaine est très limitée dans les grandes agglomérations subsahariennes en dehors de certaines franges au contact des zones rurales. Nous n’en tiendrons pas compte dans la suite de notre démarche.

Les véhicules, motorisés, utilisés par l’activité sont de faible capacité, très âgés, rafistolés et aménagés pour transporter le plus grand nombre au détriment du confort. Il n'y pas de schéma unique concernant le mode d'exploitation ou d'organisation de l'activité compte tenu des différences de contextes locaux et de la diversité de type de véhicule. Il ressort cependant quelques traits courants du transport artisanal en Afrique subsaharienne que nous nous proposons de synthétiser ici. Nous développerons plus loin certains éléments en fonction de l’évolution de notre réflexion. Il s'agit ici des seuls véhicules à quatre roues, les particularités des deux-roues seront évoquées plus loin. Globalement, on retrouve un certain nombre d'acteurs de l'exploitation artisanale de véhicules de transports collectifs :

  • Les propriétaires ne sont pas toujours les conducteurs du véhicule. Le modèle dominant est plutôt celui de propriétaire non conducteur. Ces derniers ont une activité principale – salariés ou commerçants – et perçoivent périodiquement une certaine somme de la part du conducteur. Ils n'ont véritablement à leur charge que les grosses réparations. L'achat du véhicule provient de plusieurs sources, parfois complémentaires : crédit auprès d'organismes financiers, prêt de la part de proches, apport personnel, aide familiale, tontine…
  • Les conducteurs sont généralement plutôt jeunes et ont un bagage scolaire limité, voire inexistant. L'activité a également enregistré l'arrivée des « déflatés » de la fonction publique. Pour accélérer le retour sur investissement, un second conducteur relaie souvent le premier lors de ses pauses.
  • Pour compléter l'équipage des véhicules de plus grande capacité (minibus et cars), des apprentis ou « motor-boy » sont chargés d'ameuter les passagers et de collecter le prix du trajet. Ils sont encore plus jeunes et moins scolarisés que les conducteurs.
  • Aux têtes de lignes, œuvrent des « coxeurs » – ou « chargeurs » – ou des employés syndicaux qui organisent les départs à tour de rôle. Ils effectuent le même travail que les rabatteurs, à la différence qu'ils ne sont pas embarqués.

Dans certaines agglomérations, l'exploitation est organisée en lignes de desserte et points d'arrêt ; dans d'autres, elle se fait à la maraude. Dans la pratique, du fait du nombre limité de grands axes bitumés, la pratique de la maraude peut s'apparenter à une desserte en lignes fortes, et inversement, rien n'empêche un transporteur artisanal de pratiquer son activité hors d'un réseau organisé en lignes. Les artisans, propriétaires, chauffeurs ou coxeurs, sont généralement organisés en syndicat ou GIE (Groupement d'intérêt économique) et de plus en plus conscients de leur force. Avec l'accroissement des libertés individuelles ces dernières années sur le continent, ils n'hésitent plus à défier les pouvoirs publics et les forces de l'ordre. Rares sont les villes africaines qui n’ont encore jamais connu de grève des transporteurs.

Les moto-taxis assurent une importante partie des déplacements en transport collectif à Cotonou, à Douala, à Lomé et dans certaines villes secondaires (néanmoins millionnaires) du Nigeria. X. Godard et H. Ngabmen annoncent une part modale de 60 % à Cotonou 21 . Ce mode intervenait dans un tiers des déplacements en transport collectif des Doualais enquêtés lors d’une étude sur les conditions de mobilité des populations les plus pauvres de la ville 22 en 2002 . Les moto-taxis sont apparus récemment en Afrique subsaharienne, dans les années 1980 dans les villes où le processus a démarré tôt. X. Godard et H. Ngabmen situent leur apparition à Douala et à Lomé lors des périodes de troubles politiques : les contestataires interdisant la circulation des quatre roues, les citadins n'avaient pour seul recours que ce mode et la marche à pied. Leur développement, ensuite, est à mettre sur le compte de la souplesse de service (liaison porte à porte) et de la faiblesse tarifaire. Par contre, les moto-taxis sont régulièrement pointés du doigt pour la quantité de polluants atmosphériques qu'ils dégagent à cause de défauts de réglage du moteur et de l'utilisation de carburants frelatés. Les usagers redoutent également les accidents dans lesquels ils sont régulièrement impliqués. Ce mode ne peut théoriquement transporter qu'un passager à la fois. Peut-il, dans ce cas, être considéré comme faisant partie des transports collectifs ? Il fait pourtant bien partie de l’offre de transport payant dans plusieurs villes, avec une position hégémonique dans certaines. Dans notre analyse, nous ne ferons aucune distinction entre ce « degré zéro des transports collectifs » et les autres types de véhicules motorisés.

Notes
21.

Bien que cela ne soit pas clairement explicité, il doit s'agir de 60 % des déplacements motorisés compte tenu de l'ampleur de la marche en Afrique subsaharienne.

22.

L’échantillon surreprésentait les ménages des plus faibles quartiles.