3. L’organisation et la réglementation des transports urbains subsahariens,
tout à (re)faire

a. Dilution des compétences institutionnelles et absence de coordination

La multiplicité des compétences institutionnelles est un trait dominant des transports urbains subsahariens. Elle intervient d’abord au niveau national où l’on retrouve les administrations centrales en charge : des transports, des villes et de l’urbanisme, des activités économiques, de la police, de la construction et de l’entretien des infrastructures… Au Cameroun, pas moins de six ministères sont directement concernés par l’activité de transport urbain : le ministère des Transports délivre les autorisations ; le ministère de la Ville est chargé de l’élaboration d’une politique nationale de transports urbains ; le ministère de l’Administration territoriale doit veiller au maintien de l’ordre et est, en même temps, l’autorité de tutelle des municipalités ; les deux ministères en charge de la police et de la gendarmerie interviennent dans les contrôles de circulation et de l’activité ; enfin, le ministère du Commerce fixe la tarification. Il arrive que ces ministères soient impliqués à différentes échelles administratives.

Aux administrations nationales et leurs délégations locales, il faut ajouter les structures municipales. Ces dernières années, un certain nombre de pays subsahariens ont mis en place une décentralisation des compétences, à travers la redistribution de celles-ci au profit des municipalités. Ce fut particulièrement le cas en Afrique occidentale francophone. Dans certains pays, notamment en Afrique orientale et australe, l'administration a très tôt accordé des prérogatives importantes aux municipalités dans le domaine de l’urbanisme et des services urbains. Toutefois, la décentralisation des compétences n’est pas complète et se traduit par une plus grande dilution des compétences entre les administrations centrales et locales. Les administrations centrales répugnent à abandonner leurs prérogatives et quand elles le font, cela ne s’accompagne pas d’un transfert de moyens humains et financiers adéquats. Même dans le cas de municipalités anciennement établies, disposant de la compétence d’organisation des transports urbains, l’absence de ressources financières et techniques les oblige à recourir aux structures centrales. Une analyse portant sur la mobilité urbaine et son organisation à Addis-Abeba, Dar es Salam et Nairobi note l’absence de clarté dans le partage des compétences entre les administrations centrales et locales ainsi qu’un manque de coordination dans les différentes interventions 23 .

De plus, lorsque la décentralisation est effectivement mise en place dans la pratique, on peut regretter un certain nombre de dérives :

  • Pour certaines agglomérations, la décentralisation se traduit par la mise en place de plusieurs échelles territoriales de décision. La multiplication des centres de décisions dilue encore plus les compétences. A Dar es Salam, l’étude TRL relève qu’en plus du rôle du gouvernement national et de la municipalité dans l’organisation des transports urbains, la délivrance des licences de transport est du ressort de la collectivité régionale.
  • Les municipalités sont tentées de ne voir dans les transports urbains qu'une source de recettes au lieu d'un service public nécessaire au bon fonctionnement de la ville. Douala expérimente malheureusement la conjugaison de cette conséquence avec celle de la multiplication des échelles territoriales de décision. Le paiement de la taxe de stationnement par les opérateurs pouvant être effectué indistinctement dans chacune des cinq communes urbaines d’arrondissement qui composent la Communauté Urbaine de Douala, certaines communes déploient des stratégies pour attirer un maximum de moto-taxis. De plus, un tel dispositif complique la connaissance du nombre d’opérateurs en activité, donc de la quantité du service fourni.
  • Enfin, les administrations municipales produisent en leur propre sein un éclatement des compétences avec un faible souci de coordination. C’est notamment ce qui ressort de l’analyse des cas d’Addis-Abeba, de Dar es Salam et de Nairobi : les infrastructures routières sont planifiées et développées indépendamment de la production du service de transport ; l’apprentissage de la conduite et la qualité des véhicules, deux aspects de la sécurité routière, sont traitées séparément . La faible communication entre les différents bureaux de la municipalité de Nairobi est confirmée par une autre étude .

A l’instar de ce qui a été noté à Addis-Abeba, Dar es Salam et Nairobi, cette multiplicité des compétences dans l’organisation des transports urbains s’accompagne dans les agglomérations subsahariennes d’une absence de coordination entre les différentes interventions. C’est ainsi qu’à Douala, l’activité de l’entreprise privée d’autobus continue à souffrir de l’association tardive de la Communauté urbaine à sa mise en place par le ministère des Transports qui l’a initiée. Or d’après les textes législatifs, la Communauté urbaine est responsable de l’organisation des transports urbains, de l’entretien de la voirie et de la gestion de la circulation. A Harare, bien que la municipalité soit compétente en matière de création et de supervision des lignes desservies par les commuter buses (minibus d’artisans), le ministère des transports délivre des autorisations pour de nouvelles lignes sans lui en référer . L’absence de clarté sur le partage des compétences en matière de transport est même à l’origine de conflits à Bamako entre la Direction régionale des transports (administration centrale) et le District (administration locale) . Le constat fait à Conakry résume bien l’encadrement institutionnel des transports urbains dans les agglomérations subsahariennes : « Le schéma [des transports urbains] souffre d'une part de moyens humains et financiers inadéquats, et d'autre part, de manque de concertation et de coordination institutionnelles, d'où parfois de graves dysfonctionnements sur le terrain » .

Notons cependant que les appels à une meilleure coordination dans la gestion institutionnelle des transports urbains ont récemment été entendus à Abidjan, à Dakar ou encore à Lagos, avec la mise en place de l’AGETU (Agence des transports urbains d’Abidjan), du CETUD (Conseil exécutif des transports urbains de Dakar) et du LAMATA (Lagos Metropolitan Area Transport Authority). Ces avancées restent toutefois limitées tant sur le plan de leur généralisation à l’ensemble des agglomérations subsahariennes que sur celui de leurs traductions concrètes dans les villes concernées. Créé en 1997 avec l'appui de la Banque Mondiale, le CETUD est « une instance d'étude et de concertation pour le compte de l'Etat »réunissant l’ensemble des acteurs de transports de l'agglomération. Ce n'est donc pas une autorité d'organisation des transports, ses compétences étant bien délimitées : le CETUD ne dispose pas d’un pouvoir de concession du service, ni d’attribution des autorisations de transport ; il n’a pas non plus les moyens de contrôle et de sanction. X. Godard salue toutefois cette approche multimodale des transports, associant artisans et entreprises d'autobus et de train.

Notes
23.

« In each of the cities both national and local governments, as well as their agencies, make some contribution to the urban transport sector. The divisions in responsibility are not always clear-cut, and an issue often raised by observers and 'players' is the lack of co-ordination between institutions. »