b. Absence d’une stratégie sur les transports urbains

Multiplicité des acteurs institutionnels et absence de coordination entre les différentes interventions, conjuguées à une faiblesse des ressources, dans un contexte de crise où les urgences sont nombreuses, il s’agit là d’un cocktail qui complique certainement une réflexion d’ensemble dans une logique de long terme. « None of the three cities has an explicit urban transport policy » : ce constat sur l’absence d’une stratégie claire sur les transports urbains, effectué par l’étude TRL , à Addis-Abeba, Dar es Salam et Nairobi s’applique quasiment à toutes les agglomérations subsahariennes. A Dar es Salam notamment, les interventions publiques sont qualifiée de « ad hoc ». D. Plat et P. Pochet regrettent un manque de réflexion sur les besoins en transport dans cette ville et pensent que la libéralisation de l’activité intervenue dans les années 1980 relève avant tout d'un positionnement idéologique . La situation est encore plus problématique dans les pays où la décentralisation des compétences est incomplète. Dans le cas de Yaoundé, V. Ongolo Zogo , parle d’un « modèle d’organisation des déplacements urbains [qui] se rapproche d’un système sans pilotage ». Elle dénonce l’absence d’un cadre de réflexion en dehors des périodes de crise. Si quelques initiatives intéressantes sont à relever dans certaines villes, elles relèvent plus des individus en poste et disparaissent avec les changements d’équipes.

Les difficultés de mise en place de solutions après l’échec des entreprises d’autobus consacrent d’ailleurs cette absence de stratégies claires et continues sur les transports urbains. A Yaoundé, le second appel d'offre en 1998 pour la mise en concession des anciennes lignes desservies par l’entreprise publique (SOTUC) a connu le même sort que le premier et n'a pas abouti. V. Ongolo Zogo explique ces échecs, entre autres, par l'absence d'un cadre institutionnel à même de favoriser ce type d'exploitation et un défaut de clarté des appels d'offre. Une décennie après la liquidation de la SOTUC, on en est toujours à des procédures de concession du service de transport urbain par autobus 24 .

Quant à l'autre métropole camerounaise, Douala, cinq ans après la mise en place de la SOCATUR, l’entreprise privée ne s’est pas encore véritablement imposée dans le paysage local. Son offre reste limitée au réseau viaire praticable par ses véhicules. Le problème ne se pose pas qu’en périphérie : l’état fortement dégradé de certains axes proches du centre pousse parfois l’entreprise à modifier les lignes lorsqu’elle ne remblaie pas elle-même les nids de poule. La dégradation de la voirie affecte un matériel roulant de seconde main, grevant ainsi les coûts d’exploitation. L’entreprise réclame des pouvoirs publics une meilleure prise en compte du caractère public du service qu’elle assure : des facilités douanières lui permettraient d’accroître son parc et des avantages fiscaux pourraient être répercutés au niveau tarifaire. Elle déplore également la concurrence sauvage non sanctionnée des minibus qui viennent charger à ses arrêts. En fait, elle pâtit tout simplement d’un désengagement total de la puissance publique : de l’entreprise sous tutelle de l’Etat, on est passé à un système entièrement libéralisé.

A Ouagadougou, la privatisation de la régie X9 constitue un double échec selon S. Bamas . Sur le plan de l'offre, il dénonce une dégradation du service et une réduction du parc. Et au regard des objectifs de désengagement de l'Etat, les difficultés de paiement des taxes par la SOTRAO (sa nouvelle dénomination) ont amené les autorités à lui accorder subventions et exonération de TVA.

Enfin, à Dakar, après la liquidation de l’entreprise de transport par autobus (SOTRAC), il fut un temps envisagé de mettre en place une structure impliquant le groupe RATP, avant que l'Etat français ne se ravise, craignant le non-respect de la réglementation de la concession par les artisans . Les autorités ont finalement opté en 2000 pour une solution, Dakar Dem Dikk, faisant appel au capital des employés de l’ex-SOTRAC. Mais le montage est intervenu à la marge du Conseil Exécutif des Transports Urbains de Dakar (CETUD), l’organe de coordination et de consultation dans la gestion des transports urbains, et de toute réflexion globale sur le secteur. Aujourd’hui, suite aux insuffisances de Dakar Dem Dikk, l’Etat sénégalais envisage la création d’une nouvelle entreprise de transport par autobus . Pourtant, les causes qui ont conduit à la faillite de la SOTRAC n’ont pas disparu. Il faudrait même s’attendre, d’une part à une plus grande concurrence des artisans qui ont occupé les segments de marché laissés vacants par la disparition de la SOTRAC, d’autre part à une augmentation de la congestion de la voirie, pénalisant plus lourdement les grands véhicules.

Outre leur incapacité à planifier et à organiser l’évolution des transports urbains, les acteurs institutionnels ont abandonné l’essentiel de l’organisation de l’offre actuelle aux artisans. En dépit de textes encadrant l’activité, le contrôle des artisans échappe en grande partie aux autorités publiques dans la pratique. L’entrée dans l’activité est généralement libre, à condition de s’acquitter des droits requis. Les statistiques sur le nombre des véhicules sont d’ailleurs rarement à jour. Dans certaines agglomérations comme Nairobi, il revient en principe aux autorités d’attribuer des lignes de dessertes mais, dans les faits, elles sont supplées par les organisations de transporteurs. Parfois, les artisans font tout simplement fi de cette réglementation et opèrent sur des dessertes autres que celles qui leur sont affectées. Les contrôles techniques instaurés ne sont pas assurées par les organismes qui en ont la charge, faute de moyens : au Ghana et en Ouganda, le contrôle se limite à une inspection visuelle . Quand bien même les pouvoirs publics sont en mesure de les effectuer, à l’instar des pratiques observées chez les gbakas abidjanais , les contrôles sont tout simplement contournés. En fait, dans la plupart des cas, les pouvoirs publics se contentent du recouvrement des droits relatifs à l’exercice de l’activité de transporteur. Il en résulte un transport artisanal qualitativement inefficient et générateur d’importantes externalités négatives.

Le transport artisanal constitue la seule véritable alternative à la marche dans les grandes agglomérations subsahariennes. Cette activité fait partie des multiples autres relevant de la débrouille et qui permettent aux villes africaines de « tourner ». Son organisation échappe en grande partie aux pouvoirs publics. En dépit des avancées sur la nécessité d’une coordination institutionnelle, les transports urbains ne font l’objet d’aucune stratégie réellement appliquée, continue et en cohérence avec les autres politiques urbaines. Les interventions dans le secteur sont d’ordre conjoncturel et tiennent peu compte des erreurs passées. Pourtant, avec la croissance démo-spatiale des agglomérations subsahariennes, s’amplifient également les enjeux en termes d’organisation des transports urbains.

Notes
24.

Le 14 octobre 2005, le quotidien Cameroon Tribune [M. Zambo, consulté le 17/10/05, http://www.cameroon-tribune.net] faisait état de la signature d’un protocole d’accord entre le gouvernement camerounais et un opérateur américain pour la mise en place d’un service de transport par autobus dans la ville de Yaoundé.