1. Le transport artisanal, une offre inadaptée aux grandes agglomérations

a. Une réponse à des besoins réels et un apport économique important

Dans ses différentes déclinaisons, du moto-taxi au minibus en passant par des utilitaires sommairement aménagés, le transport artisanal constitue une réponse à des besoins réels en Afrique subsaharienne. Il a comblé les insuffisances des entreprises de transport public jusqu’à s’y substituer complètement dans la plupart des agglomérations. Le développement du transport artisanal a permis de suivre la croissance de la demande et amélioré ainsi, de façon notable, les temps d'attente. A Harare par exemple, en 1994, un an après la déréglementation, l’augmentation du parc des commuter omnibus a entraîné une réduction moyenne des temps d’attente de 33 % . Le transport artisanal a également assuré la desserte des périphéries éloignées et enclavées, inaccessibles aux autobus des transporteurs officiels. Enfin, il a constitué une alternative pour les plus pauvres, incapables de mobiliser en une seule fois le montant d’un abonnement autobus. Et en réalisant des économies au détriment de la fluidité du trafic, de la sécurité des passagers et des autres usagers de la route et de la qualité de l’air – comme nous le verrons plus loin (Chapitre 6, Section II-3-b) –, les tarifs appliqués par le transport artisanal permettent à un plus grand nombre de citadins l’accès aux modes motorisés pour les déplacements longs.

Le transport artisanal contribue fortement à l’économie nationale à travers les taxes et les emplois qu’il génère. D’après C. Kane , le secteur des transports urbains dakarois (majoritairement artisanal) participe pour plus de 7 % au PIB du pays. P. Teurnier et O Domenach ont estimé que l’activité des matatus, minibus de transport urbain à Nairobi, a généré pour l’année 1998 un chiffre d’affaires de 58 milliards de FF, soit 1,3 % du budget du pays. Pour une évaluation plus fine de sa contribution à l’économie kenyane, il faudrait également tenir compte des effets indirects. A Abidjan, les taxes perçues sur le transport artisanal (dont deux tiers sont des taxes sur le carburant) représentent environ 1 % des recettes fiscales totales de l’Etat ivoirien 25 . Le transport artisanal est un important pourvoyeur d’emplois dans les villes subsahariennes. Le nombre d’emplois directs générés par l’activité se chiffre à plusieurs dizaines de milliers dans les principales agglomérations [Tableau 11]. A ceux-là, il faut également ajouter tous les métiers qui se développent autour de l’activité de transport urbain (rabatteurs et chargeurs, mécaniciens, vendeurs de pièces détachées et de carburant, métiers de nettoyage et de gardiennage des véhicules…). A Douala, le nombre total d’emplois indirectement générés par le transport urbain se chiffre autour de 15 000, ce qui situe le nombre total d’emplois générés à près de 60 000 . A Addis-Abeba, l’ensemble des emplois générés est estimé à environ 50 000 . Et à Dakar, les emplois liés au transport artisanal (emplois directs et entretien/réparation) sont de l’ordre de 40 000, soit 10 % des emplois de la ville . Déjà en 1988, X. Godard et P. Teurnier avançaient un total de 20 à 25 000 emplois générés par le transport urbain à Dakar, ce qui permettait de faire vivre 200 à 250 000 personnes, soit 10 à 15 % de la population urbaine. Si l’essentiel des activités engendrées intervient dans le secteur non structuré de l’économie, le transport artisanal, même sous une forme aussi atypique que le moto-taxi, a des répercussions importantes jusque dans le secteur formel. A Douala, avec le développement des bendskins, des entreprises locales se sont spécialisées dans la commercialisation de motos neuves, l’une d’entre elles a même investi dans une usine de montage. Toutefois, comme nous aurons l’occasion de le voir plus loin (Chapitre 6, Section III-3-b), les emplois générés par le transport artisanal s’adressent en priorité aux jeunes faiblement qualifiés des couches défavorisées dans les agglomérations subsahariennes dont les opportunités en termes d’activité sont très réduites.

Tableau 11 : Le transport urbain artisanal, un important pourvoyeur d’emplois en Afrique subsaharienne
Ville (année) [source]
Emplois directs générés
Entreprise de bus Secteur artisanal Total
Addis-Abeba (2002) 2 300 22 100 24 400
Dakar (1988) 3 000 15 000 18 000
Dar es Salam (2002) - - 31 000ii
Douala (2004) 400 41 100i 43 500
Nairobi (2002) 2 000 39 200 41 200

iObtenu par différence entre le nombre total d’emplois directs générés par les transports urbains et le nombre d’emplois directs générés par l’entreprise de bus

iiLa part modale de l’entreprise d’autobus représente 2 % du total des déplacements effectués en transport collectif .

Notes
25.

En 1998, les recettes fiscales totales de l’activité de transport collectif à Abidjan ont été estimées à environ 16 milliards de F CFA dont 9 milliards de taxes sur le carburant, celles concernant uniquement l’entreprise de transport urbain se sont élevées à près de 6,6 milliards de F CFA, dont 3 milliards sur le carburant [CERTU et STC, 2002, pp. 46 et 51] : soit des recettes fiscales perçus sur l’activité de transport artisanal de 9 milliards de F CFA, dont 6 milliards sur le carburant. Les recettes fiscales totales du pays sont de 1’ordre de 1 000 milliards de F CFA [Source : Union Economique et Monétaires Ouest Africaine (UEMOA), « http://www.izf.net/izf/Guide/TableauDeBord/cote_ivoire.htm », consulté le 7 septembre 2005].