b. L’offre artisanale, limitée en termes de capacité et de desserte des aires urbaines étendues

Le transport artisanal est inadapté aux grandes agglomérations parce que, d’une part, il permet difficilement de faire face aux axes à très forte demande et, d’autre part, son mode de fonctionnement le rend inefficace à la desserte des aires urbaines étendues. M. Frybourg identifie trois composantes qui contribuent à l’objectif assigné à un système de transport : les véhicules, les infrastructures et les techniques d’exploitation. Ainsi, chacun de ces trois éléments influe sur la capacité d’un système de transport collectif, son débit horaire (nombre de passagers transportés par heure et par sens). Les trois composantes du système de transport artisanal subsaharien sont des facteurs de limitation de son débit horaire :

  • Lors de l’analyse de la croissance démo-spatiale des grandes agglomérations subsahariennes, nous faisions le constat d’une augmentation du réseau de voirie à un rythme bien inférieur à celui de la croissance des besoins. Du fait des contraintes imposées par la configuration spatiale de certaines agglomérations, mais surtout en raison des contraintes financières pour toutes les agglomérations subsahariennes, il sera très difficile pour les pouvoirs publics d’accroître la capacité sur les axes centre/périphérie notamment, les plus fortement sollicités.
  • Pour s’assurer un retour sur investissement plus rapide, les artisans marquent une nette préférence pour des véhicules de faible capacité : 1 place pour les moto-taxis, 5 places pour les taxis collectifs, 12 à 18 places pour les minibus, quelquefois au-delà. Or, ces véhicules ont un coefficient d’occupation d’espace par passager plus important par rapport à un autobus (entre 60 et 100 places pour un autobus standard, jusqu’à 270 places proposées par les autobus bi-articulés de Curitiba). On arrive ainsi plus rapidement à une saturation de la voirie, phénomène que formalise la Figure 6. La relation entre le débit et la vitesse de circulation établit qu’en situation d’« hypercongestion » (parte inférieure de la courbe), l’augmentation du trafic décroît le nombre de véhicules par heure circulant sur la voie (nombre de passagers par heure si l’on ne considère que les transports collectifs). Une mesure des temps de parcours moyens journaliers sur les principaux axes de desserte du centre de Douala en 2000 a fait apparaître des vitesses moyennes (heures creuses comprises) inférieures à 15 km/h sur la plupart des axes ; sur certains tronçons, la vitesse moyenne journalière n’atteint même pas 10 km/h . L’étude constate également que 50 à 70 % du trafic, 85 % sur certains axes, est constitué de taxis et de minibus de transport . A Conakry, une mesure similaire a donné, en 2002, des vitesses moyennes aux heures de pointe pour la plupart contenues entre 10 et 20 km/h et des écarts très importants avec les vitesses moyennes en heure creuse pouvant aller jusqu’à 34 km/h . Les embouteillages importants que connaissent les principaux axes de liaison centre/périphérie dans la plupart des agglomérations subsahariennes laissent penser qu’on est en situation d’hypercongestion en période de pointe. Le recours par le transport artisanal, majoritaire dans le trafic, à des véhicules de faible capacité entraîne une perte de capacité des quelques voies d’accès au centre.
  • De plus, les vitesses évoquées ci-dessus sont des vitesses de circulation. Pour les transports collectifs, il faut en plus considérer les arrêts pour charger et décharger les passagers. La multiplication des arrêts, en plus de réduire la vitesse commerciale du véhicule, ralentit leur circulation et réduit encore plus la capacité des voies. Les artisans stoppent leurs véhicules de façon intempestive et très souvent, ne font pas l’effort de s’écarter de la chaussée, ralentissant encore plus la circulation.
Figure 6 : Courbe théorique de la relation entre le débit sur une voie et la vitesse de circulation des véhicules sur cette voie

Au-delà de son inadaptation aux demandes concentrées sur certains axes de liaison centre/périphérie, le transport artisanal ne permet pas une organisation efficace de l’offre de transport collectif à l’échelle des agglomérations millionnaires. La logique comptable privilégiée, basée sur « la maximisation des flux de trésorerie »plutôt que sur le calcul de l’amortissement de l’investissement, et l’intéressement de l'équipage aux recettes favorisent les liaisons radiales courtes à forte demande. Dans certaines villes, les opérateurs mettent en place un "sectionnement" des trajets – transbordement des passagers d'un véhicule à un autre dans des terminus intermédiaires – dans le but de gonfler le prix du parcours total. Ces pratiques limitent la couverture spatiale de la desserte essentiellement aux liaisons radiales proches du centre. De plus, dans les villes où les dessertes sont organisées par lignes, les opérateurs ne partent des principaux points de chargement qu’une fois le véhicule plein. Les usagers des arrêts intermédiaires voient leur temps à attendre une place disponible se rallonger. A Douala, une étude concernant les déplacements entre les deux rives du Wouri pendant les travaux sur le Pont montrait ainsi que les habitants des couronnes lointaines de Bonabéri dans lesquelles se trouvaient le terminus des minibus de transport étaient mieux desservis par ce mode que ceux des couronnes plus proches . Un constat identique est effectué à Nairobi : « les véhicules [minibus matatus] partant des terminus pleins et en surcharge, les clients sont obligés de rejoindre ces terminus à pied pour espérer avoir une place » . Enfin, les caractéristiques du transport artisanal (atomicité du secteur, concurrence exacerbée, production du service au jour le jour…) ne se prêtent pas à des correspondances, compliquant une approche globale de l’offre à même de faire face efficacement aux flux complexes des aires étendues des grandes agglomérations.