2. Des conséquences néfastes sur la mobilité et d’importantes externalités négatives

L’offre artisanale, anarchique, pèse négativement et fortement sur la mobilité motorisée des habitants des grandes agglomérations subsahariennes :

Cette pénibilité des déplacements se répercute inévitablement sur la productivité des citadins africains et leur accessibilité aux services urbains.

En plus d’être (et parce que) inadapté à la desserte des grandes agglomérations, le transport artisanal génère d’importantes externalités négatives. Celles-ci augmentent avec les besoins en déplacement. Une externalité négative est un effet non généré par le marché, elle naît du comportement d’un agent économique qui impose à d’autres agents économiques des inconvénients non acceptés et que le marché ne peut pas réguler par une variation du prix ou une pénalité compensatrice ou une transaction. Elle traduit la différence entre la valeur d’un produit pour la société et la valeur du même produit dans l’échange marchand.

Une étude CERTU et STC réalisée à Abidjan nous propose une évaluation de certaines externalités générées par les transports dans cette agglomération en 1998. Elle accompagne son évaluation par quelques données similaires à Dakar en 1996 (Tableau 12). L’étude CERTU et STC prend bien le soin de nous indiquer la fragilité de son calcul dans un contexte d’insuffisances statistiques et situe ses estimations dans des fourchettes très larges. Elle explique également les écarts avec les estimations réalisées à Dakar par des différences de méthode, en grande partie. Si les chiffres avancés ont un degré de fiabilité réduit, leur ampleur nous permet de mesurer l’importance des externalités générées dans les agglomérations subsahariennes par les transports urbains en général, le transport artisanal en particulier.

Tableau 12 : Coût des dysfonctionnements des transports à Abidjan et à Dakar
  Abidjan (1998) Dakar (1996)i
  Total en milliards F CFA Milliers F CFA/habitant Total en milliards F CFA Milliers F CFA/habitant
Pollution atmosphérique 34-61 11-20 65 32
Accidents 27-37 9-12    
dont dommages corporels 11-21 4-7 2 1
dont dommages matériels 16 5
Congestion 23-35 8-12    
dont dépassements de capacité 15-23 5-8 41 20
dont barrages routiers, accidents 8-12 3-4
Dysfonctionnements TCii 17-28 6-9    
Effet de serre 4-8 1-3    
Bruit 2-3 1 2 1

iSource : Etude sur l’analyse des coûts de dysfonctionnement des transports en commun dans l’agglomération de Dakar réalisée en 1998 par TRACTEBEL pour le compte du CETUD

iiCe sont des dysfonctionnements liés à des facteurs internes à l’entreprise d’autobus de transport, la SOTRA.

Source : CERTU et STC

Les estimations de l’étude CERTU et STC évaluent un coût de la congestion résultant des dépassements de la capacité de la voirie, en 1998, entre 15 et 23 milliards de F CFA, soit entre 5 000 et 8 000 F CFA par an et par habitant (Tableau 12). A Dakar, ce coût est deux fois plus important en raison notamment de la méthode employée 26 . Les deux évaluations ne distinguent pas les effets propres au transport artisanal qui constitue un grande partie du trafic. Mais l’usage des véhicules de faible capacité par le transport artisanal contribue fortement à la congestion des axes les plus sollicités. En outre, les opérateurs se livrent une concurrence sauvage pour le chargement de la clientèle : conduite dangereuse, arrêts intempestifs, volonté d’empêcher les concurrents de passer devant…, autant de facteurs aggravant la congestion de la voirie.

Sur la base de l’étude CERTU et STC, F. Duprez propose une comparaison des rejets de polluants entre les bus de l’entreprise abidjanaise de transport et les artisans (Tableau 13). Pour certains polluants tels que le monoxyde de carbone ou l’hydroxyde de carbone, les rejets par déplacement sont 3 à 7 fois moindres pour les transports par autobus que pour les artisans. L’usage de vieux véhicules, mal réglés et réparés au minimum, provoque beaucoup plus de rejets polluants. Le transport artisanal, par son importance dans le trafic – 40 % d’après l’étude CERTU et STC – contribue grandement au coût de la pollution atmosphérique générée par les transports dans l’agglomération abidjanaise, coût compris entre 34 et 61 milliards de F CFA pour l’année 1998 (Tableau 12). Cela représente l’équivalent de la production annuelle de 39 000 à 71 000 ivoiriens  ! A Dakar, l’estimation situe un coût de la pollution atmosphérique due aux transports en 1996 à 65 milliards de F CFA, soit la limite supérieure de l’estimation abidjanaise.

Tableau 13 : Les artisans plus polluants que les autobus de la SOTRA à Abidjan en 1998
Type de polluant rejeté dans la circulation automobile
Rejet unitaire (en grammes) par déplacement
Bus SOTRA
Artisans
Minibus
(Gbakas)
Taxi collectif
(Woro-woro)
CO 3,5 8,6 26,7
HC 1,1 5,3 3,8
NOx 10,3 9,2 6,7
Plomb 0,0 0,0 0,1
PM10 0,5 1,0 0,9
CO2 420 368 540
Carburant 133 117 171

Source : F. Duprez

Sur le plan de la sécurité, la faible vitesse de circulation (imposée par le milieu urbain ainsi que par la congestion du trafic) réduit les risques de dangerosité des accidents. Sont surtout affectés les piétons et les usagers des deux-roues, notamment ceux des moto-taxis, plus vulnérables. Toutefois, les économies réalisées sur l’entretien des véhicules et la conduite dangereuse des artisans sont à l’origine de bien des dommages matériels (véhicules et infrastructures). En plus des externalités en termes de congestion, de pollution ou de sécurité, le transport artisanal génère un autre type de coût pour la collectivité : le non-paiement de certaines taxes par la profession, la corruption des agents publics pour éviter certaines réglementations contraignantes, l’utilisation de carburant et de pièces détachées de contrebande, sont autant de recettes qui font défaut à la collectivité.

Notes
26.

La valorisation de la congestion à Dakar repose sur une comparaison entre les vitesses effectivement observées et « les vitesses autorisées tant par la sécurité que par les types et les capacités des routes fréquentées ». A Abidjan, la situation de référence correspond aux vitesses observées en heures creuses, ce qui conduit à des temps « perdus » plus faibles [CERTU et STC, 2002, Annexes].