3. Un coût de la mobilité de plus en plus élevé, un accès aux modes motorisés de plus en plus compromis

a. Un renchérissement des tarifs des transports collectifs urbains

La faiblesse des sources statistiques limite fortement l’analyse du renchérissement des tarifs de transport collectif dans les agglomérations subsahariennes. Mais différents indices relevés dans ces villes laissent peu de doutes sur l’augmentation des tarifs pratiqués par les artisans. Sous les effets combinés de l’accroissement de la congestion sur les grands axes centre/périphérie aux heures de pointe, de la dévaluation de la monnaie locale et de l’augmentation du cours du pétrole, l’exigence de la rentabilité d’une activité non subventionnée par les pouvoirs publics pousse logiquement les artisans à répercuter l’augmentation des coûts d’investissement et d’exploitation sur les usagers.

Alors que la tarification des entreprises d’autobus obéit à une plus grande rigueur dans son application, l’exploitation artisanale laisse une large place à la négociation entre opérateur et usager. Dans les grandes villes africaines, l’informalisation de l’activité de transport collectif urbain a progressivement substitué la loi de l’offre et de la demande à une tarification administrée par les pouvoirs publics. Certes, des tarifs « officiels » continuent à être fixés par les pouvoirs publics sur la base de rapports de force avec les groupements d’opérateurs. Les gouvernements subsahariens tentent vainement ainsi d’un côté, de maîtriser l’évolution des coûts pouvant affecter le budget des citadins, de l’autre, d’éviter la paralysie des villes par les grèves de transporteurs. Ces mesures, à l’instar de l’ensemble de la réglementation publique de l’activité, restent très éloignées des pratiques sur le terrain.

En mars 2005, dans un communiqué qui accompagne son arrêté fixant de nouveaux tarifs revus à la hausse pour les taxis collectifs sur l’ensemble du territoire national, le ministre camerounais du Commerce prend le soin de préciser que « le principe retenu et qui se trouve consacré par cet arrêté (…) est celui du gré à gré. En l’occurrence, les tarifs ainsi fixés constituent un plafond, toute latitude étant laissée au transporteur et à l’usager de s’accorder, au cas par cas, sur des niveaux inférieurs » . Cette dernière précision ne vise en fait qu’à rassurer les citadins ou, au moins, à dédouaner les pouvoirs publics de cette augmentation. Les taxis collectifs ne sont pas affectés à des dessertes spécifiques et fonctionnent à la maraude : le taximan peut toujours refuser d’embarquer un passager en prétextant que la demande ne coïncide pas avec sa destination. Ceci ne constitue qu’un des aspects compliquant l’application de l’arrêté ministériel. Une étude sur les conditions de déplacements des populations les plus démunies à Douala constate d’ailleurs un coût d’usage des taxis collectifs supérieur au tarif officiel : en moyenne 195 F CFA contre un tarif officiel de 150 F CFA . A Dar es Salam, D. Plat et P. Pochet notent également une certaine ambiguïté dans la fixation d’un tarif spécifique pour les scolaires : en l’absence de toute compensation, l’application de cette mesure dépend de la bonne volonté des opérateurs. A Dakar, quand un quotidien local regrette la poursuite de la pratique du sectionnement des trajets, malgré la hausse des tarifs officiels des cars rapides, un conducteur réplique « qu’il n’existe aucun rapport entre les tarifs et la libre décision d’un conducteur et/ou de son apprenti d’emprunter tel itinéraire ou tel autre, de le desservir en partie plutôt qu’en totalité » . A Kinshasa, la presse locale rapporte également une pratique de tarifs supérieurs à ceux fixés par les autorités publiques .

L’informalisation des transports collectifs urbains a introduit une grande souplesse dans les prix pratiqués. X. Godard note le recours au waxalé à Dakar, qui consiste à marchander le tarif à la baisse. Mais la négociation à la baisse a surtout, voire exclusivement, cours aux heures creuses, lorsque la demande est plus faible. Aux heures de pointe, l’offre artisanale de transport est en sous-capacité sur les liaisons centre/périphérie à forte demande : limite imposée à la fois par la capacité des infrastructures et celle des véhicules de transport collectif. La loi de l’offre et de la demande agit alors en faveur du vendeur (les transporteurs) au détriment de l’acheteur (les usagers). A Douala, les minibus qui assurent la desserte entre les deux rives du Wouri exigent jusqu’à 300 F CFA en période de pointe alors qu’ils acceptent de transporter pour 150 F CFA en période creuse . Or les déplacements en transport collectif dans les agglomérations subsahariennes se caractérisent par une double concentration : sur les liaisons radiales et aux heures de pointe. Par conséquent, un grand nombre de déplacements effectués en transport collectif souffre plutôt de surenchère.

X. Godard pense que « la présence d’une entreprise d’autobus limite la pression à la hausse des tarifs du transport artisanal ». Il se fonde notamment sur une mesure des changements intervenus à Dakar suite à la régression de l’offre de l’entreprise d’autobus, la SOTRAC. Entre 1993 et 1996, le parc roulant de la SOTRAC est passé de 255 autobus à 76 autobus . L’enquête a concerné les scolaires et les fonctionnaires, usagers traditionnels des entreprises publiques de transport urbain du fait des avantages accordés par les Etats. Outre une confirmation de la pratique du sectionnement, I. Diouf note un élargissement du segment des tarifs appliqués, en raison d’une plus grande souplesse dans leur application : le prix minimum est passé de 75 à 50 F CFA, le prix maximum, de 190 à 250 F CFA. Si I. Diouf ne nous propose pas une mesure de l’évolution des tarifs pratiqués, il nous donne un aperçu des conséquences de cette évolution. L’analyse des enquêtes effectuées montre une réduction à la fois du nombre et du rythme des déplacements effectués. La proportion des enquêtés effectuant 4 voyages et plus en transport collectif par jour est passée de 43 % à 24 % alors que les usagers effectuant 2 voyages par jour a augmenté, de 46 % à 67 %. I. Diouf est convaincu que « ces adaptations sont la conséquence d’un état de fait que des choix volontaristes, les options renvoyant souvent à des contraintes monétaires ».

L’importance de la demande par rapport à l’offre proposée n’explique pas à elle seule la surenchère des tarifs. Les artisans cherchent également à compenser les pertes de temps et en carburant dues à la congestion routière aux heures de pointe. La progression de la demande, confrontée à la fois à l’insuffisance des infrastructures viaires et à l’usage de véhicules de faible capacité par les transporteurs, complique de plus en plus la circulation sur les axes centre/périphérie aux heures de pointe. D’ailleurs, les opérateurs des cars rapides dakarois s’appuient sur ces embouteillages pour justifier le sectionnement des trajets.

A Harare, en cinq ans, les tarifs des transports collectifs ont augmenté de près de 1 000 %  ! Il convient d’apprécier cette hausse considérable en fonction du contexte macroéconomique du pays sur cette période. Le Zimbabwe a enregistré des taux d’inflation très élevés, jusqu’à 50 % sur certaines années, ainsi que des évolutions de taux d’intérêt de grande ampleur. Le cours du Dollar zimbabwéen a connu une chute vertigineuse. Parallèlement, les secteurs publics et privés structurés de l’économie réduisirent leurs effectifs. En 2002, les usagers dépensaient 16 % de leur revenu en transport public contre 11 % en 1996 alors qu’entre temps, T. C. Mbara et D. A. C. Maunder notent une baisse de la mobilité totale et une montée de la mobilité non motorisée. Entre 1996 et 2000, le nombre moyen de déplacements par personne et par jour est passée de 1,6 à 0,8, soit une baisse de 50 %.

Il n’y a pas qu’au Zimbabwe que l’activité de transport collectif urbain a souffert de la dévaluation de la monnaie locale. A Bamako, les tarifs des transports collectifs en 2000 représentaient presque le double de ceux de 1993, avant la dévaluation du franc CFA (Figure 7). M. Djenapo et D. Kone ont cherché à comparer l’évolution des prix de différents produits de consommation courants des Bamakois (mil, maïs, riz, électricité, eau potable, produits pétroliers et transport collectif) : « Il ressort (…) que le transport urbain est le secteur qui a connu les plus fortes hausses de prix après la dévaluation. Les déplacements dans les zones 2 et 3 qui constituent plus de 75 % des déplacements ont connu les plus fortes hausses ». Il est fort probable que la dégradation des conditions de mobilité des ex-usagers de la SOTRAC à Dakar soit en très grande partie due à la dévaluation du franc CFA. En tout cas, la dévaluation a accéléré la régression de l’offre de l’entreprise publique d’autobus.

Figure 7 : Evolution des tarifs des transports urbains artisanaux à Bamako

Source : M. Djenapo et D. Kone

Mais les dernières hausses des tarifs des transports collectifs sont surtout dues à l’augmentation des prix du carburant. Les dépenses en carburant absorbent un cinquième des recettes des minibus de transport à Abidjan, à Harare et à Nairobi . A Addis-Abeba, elles représentent un quart des recettes et la moitié des dépenses d’exploitation . Si les Etats subsahariens cherchent à en adoucir les effets, l’augmentation du cours du pétrole brut est en définitive répercutée aux consommateurs (Tableau 14) : en 2004 27 , les prix de supercarburant représentaient plus de 50 % de ceux pratiqués en 1998, 2000 ou 2002 dans 28 pays subsahariens sur 32 ; dans 9 d’entre eux, ils ont au moins doublé par rapport à ceux de 1998, 2000 ou 2002. Une analyse effectuée à Zaria, une ville nigériane, suite à une augmentation brutale du prix du carburant en 1994 (238,5 %) montre une réduction de 20 % de la mobilité, près de la moitié des déplacements de sociabilité et de loisir a été supprimée, tandis que les dépenses de transport ont plus que doublé .

Tableau 14 : Le prix du carburant à la pompe a fortement crû ces dernières années en Afrique subsaharienne

Lecture de la dernière colonne : en grisée, une augmentation du prix en 2004 d’au moins 50 % par rapport à celui de 1998, de 2000 ou de 2002 ; en gras, une augmentation du prix en 2004 d’au moins 100 % par rapport à celui de 1998, de 2000 ou de 2002.

*Valeur du BRENT à Rotterdam lors de la collecte des données sur le terrain

PS : Les données concernant la Guinée Bissau, la Guinée équatoriale et le Sahara occidental n’ont pas été fournies ; les séries concernant la République Centrafricaine, le Lesotho, le Liberia, la Sierra Leone, la Somalie, le Swaziland et la Zambie n’ont pas été prises en compte parce qu’incomplètes.

Source : G. Metschies

Notes
27.

La collecte des données est intervenue entre le 15 et le 19 novembre 2004 [Metschies, 2005, p. 5].