b. Les dépenses de transport, un poids réel dans le budget des ménages
des citadins subsahariens

Dans le cadre de ses travaux sur la mobilité quotidienne dans les villes subsahariennes, D. Plat s’est penché sur le poids des dépenses de transport dans le budget des ménages. Nous nous appuyons sur les analyses qu’il a faites des différentes estimations des dépenses de transport dans le budget des ménages urbains subsahariens, ainsi que sur ses explications quant aux principales différences entre ces estimations.

Les différentes évaluations du poids des dépenses de transport dans le budget des ménages des citadins subsahariens proviennent de deux types de sources : les enquêtes sur la consommation des ménages et les enquêtes sur la mobilité des citadins. Selon qu’on s’appuie sur le premier type d’enquête ou le second, le poids des dépenses de transport dans le budget des ménages se situe, respectivement, entre 8 % et 15 % ou entre 15 % et 20 %. L’enquête mobilité réalisée à Niamey 28 attribue au transport un poids de 18,4 % dans le budget des ménages, alors que les enquêtes consommations à Dar es Salam 29 et à Ouagadougou 30 estiment ce poids à 9,1 % pour la première ville et 15,6 % pour la seconde. Outre l’écart important entre les deux évaluations, les deux types d’enquête donnent des résultats différents quand il s’agit d’analyser l’évolution du poids des transports dans le budget des ménages en fonction du niveau de ressources du ménage. Contrairement aux enquêtes consommation, les enquêtes mobilité montrent un poids du transport croissant avec le revenu du ménage.

Les différences de résultat entre les deux types d’enquête proviennent des divergences de méthodes :

  • Alors que dans les enquêtes de consommation, il s’agit de recueillir les dépenses effectuées pendant une période donnée, les enquêtes mobilité interrogent les individus sur les dépenses de transport qu’ils ont l’habitude d’effectuer. La seconde démarche tend plutôt d’un côté, à surestimer les dépenses répétitives et fréquentes (les transports collectifs, notamment pour les déplacements domicile/travail, le carburant), de l’autre, à sous-estimer les postes de dépenses aléatoires (l’entretien et la réparation des véhicules individuels, des déplacements non habituels). Toutefois, les informations recueillies dans le cadre des enquêtes mobilité sont plus centrées sur les déplacements urbains et conduisent à une meilleure identification des coûts de transport en ville.
  • Dans les enquêtes mobilité, les dépenses de transport sont rapportées à l’ensemble des revenus du ménage. Dans les enquêtes de consommation, elles sont mesurées par rapport à l’ensemble des dépenses du ménage. Le fait de retenir les dépenses du ménage comporte un certain nombre d’avantages : en tant que mesure de la consommation effective plutôt que de l’aptitude à consommer, elles donnent une meilleure mesure du bien-être ; elles sont plus facilement mesurables et leurs protocoles de recueil sont mieux maîtrisés contrairement aux revenus (multiplicité des sources et caractère épisodique de certaines sources) ; les dépenses sont plus stables dans le temps et permettent ainsi une meilleure évaluation du niveau de vie moyen. Par contre, le fait de faire appel aux dépenses du ménage plutôt qu’aux revenus peut masquer les inégalités entre individus au sein des ménages. Tous les revenus individuels ne sont pas mis en commun, ce qui constitue un souci d’indépendance financière de l’individu par rapport au ménage.
  • Enfin, dans les deux types d’enquête, les choix effectués lors de l’analyse influent fortement sur les résultats. C’est notamment le cas quand il s’agit d’inclure la taille du ménage dans la considération du revenu du ménage. Pour prendre en compte les différences qui peuvent exister entre adultes et enfants ou encore les économies d’échelle, quelle échelle d’équivalence adopter ?

Présenté tel quel, le poids des transports dans le budget des ménages urbains dans les grandes villes africaines présente des limites sur le plan analytique. Dans ce poids, il n’est souvent fait aucune distinction entre déplacements urbains et non urbains, entre dépenses dues aux déplacements en transports collectifs et dépenses liées à la possession et à l’usage de véhicules individuels. Certaines enquêtes consommation englobent les dépenses en communication dans la rubrique transport. D’autres ne prennent pas en compte l’achat de véhicules.

Ensuite, les dépenses effectives en transport passent sous silence les ajustements de la mobilité en fonction du coût exigé. A l’instar de Dakar et de Harare, comme il a été fait état plus haut, le renchérissement du coût des transports collectifs urbains a certainement conduit à des renoncements de déplacements par ce mode dans la plupart des grandes villes subsahariennes. Il est possible que le montant global affecté aux dépenses de transport n’ait pas évolué alors que le nombre de déplacements correspondant ait été réduit.

Pour mieux évaluer l’importance des dépenses de transports pour le budget, D. Plat adopte une approche complémentaire : il s’agit de calculer le coût d’un usage régulier des transports collectifs urbains et de le rapporter à quelques indicateurs de la distribution des revenus. C’est ainsi qu’à Niamey, le coût de vingt allers et retours (correspondant à un mois d’usage régulier et quotidien, en semaine) au tarif pratiqué par les taxis collectifs dépasse le sixième du salaire médian des actifs et atteint pratiquement le douzième du revenu médian des ménages. A Dar es Salam, pour les 40 % des ménages les plus pauvres, une fois décomptées les dépenses pour l’alimentation et le logement, il ne reste alors pour un ménage moyen de quatre personnes que 450 Tsh par jour ouvrable pour couvrir l’ensemble des autres besoins (santé, éducation, transport, autres achats…). Pour les 20 % les plus pauvres, le montant restant passe à 250 Tsh. A l’époque de l’enquête, le prix d’un aller-retour en minibus daladala était de 140 Tsh. L. Diaz Olvera et al. s’inspirent de la démarche adoptée pour le cas de Niamey lors de l’exploitation de l’enquête consommation de Douala en 2000 et constatent un usage très restreint des transports collectifs par les populations à faible revenu : les ménages de premier quintile ne peuvent au mieux financer que 13 trajets mensuels ; ceux du second quintile, 23 trajets ; ceux du troisième, 31 trajets.

Notes
28.

En 1996, par le Laboratoire d’Economie des Transports.

29.

Enquête HRDS en 1992.

30.

Enquête UEMOA en 1996.