c. Une mobilité sous contrainte budgétaire, synonyme de marges faibles en termes de solutions

Les analyses de I. Diouf à Dakar, de T. C. Mbara et D. A. C. Maunder à Harare nous ont donné un aperçu des conséquences du renchérissement du coût des transports collectifs en termes de réduction du recours aux modes motorisés. L’étude de cas du franchissement du Wouri (Annexe 1), à travers l’analyse des stratégies déployées par les Doualais dans le cadre de leurs déplacements quotidiens, vient compléter notre analyse de la contrainte financière sur la mobilité urbaine en Afrique subsaharienne. Elle permet, en outre, de situer la faiblesse des marges budgétaires des citadins africains.

Pendant les travaux de réhabilitation de l’unique pont reliant les deux rives du Wouri à Douala, les autorités publiques ont mis en place une restriction de circulation des transports collectifs sur l’ouvrage. Elle a entraîné un renchérissement significatif des coûts de déplacement entre les deux rives du fleuve. Pour compenser l’interdiction des taxis et des moto-taxis sur le pont, un service spécial payant de traversée par autobus a été mis en place entre les deux rives du fleuve. Du fait de la faible distance du service assuré, cette navette qui capte près de la moitié des déplacements en transport collectif entre les deux rives du Wouri impose des ruptures de charges coûteuses. Les usagers de la navette ont vu leur coût de traversée augmenter en moyenne de 19 %. Dans un contexte de rareté des ressources et de contraintes fortes sur le budget des ménages, les mesures arrêtées durant les travaux de réhabilitation du pont ont provoqué chez les usagers du transport collectif des stratégies de minimisation des dépenses de transport au détriment de leurs conditions de mobilité.

Le choix du mode de traversée se porte vers les modes les moins coûteux quitte à rallonger le temps d’attente et la durée totale du déplacement. Les usagers des couronnes lointaines préfèrent ainsi attendre longtemps pour prendre préférentiellement les bus qui assurent les liaisons longues, au pire les minibus des artisans et les clandestins, et payer moins plutôt que recourir à la navette, plus rapide mais plus chère. En moyenne, le temps de déplacement porte à porte en navette est de 53 minutes contre 88 minutes pour le bus, son coût de déplacement, de 355 F CFA contre 245 F CFA pour le bus. Dans le but de réaliser des économies sur le coût du déplacement, les usagers ont également recours à la négociation des tarifs des transports collectifs. Ils « proposent » un prix en dessous des tarifs habituels jusqu’à ce qu’ils trouvent l’opérateur qui accepte de transporter à ce prix, ce qui oblige à de longues attentes. Suite au renchérissement des coûts de traversée du fleuve, les Doualais ont un plus grand recours à la marche à pied en tant que mode de transport à part entière ou comme complément des trajets en transport collectif. La marche est pratiqué parfois sur des distances importantes (jusqu’à 1h30 de temps de déplacement) et de façon régulière (pour se rendre au travail, dans un quartier distant de la rive opposée).

Enfin, nous avons noté des réductions du nombre de traversées, de la diminution des visites à la famille jusqu’à la suppression de déplacements pour des activités rémunératrices. Le dispositif d’enquête adopté pour l’étude ne permet, certes, pas de quantifier la baisse de la mobilité entre les deux rives ou encore le report vers la marche à pied des déplacements autrefois effectués en transport collectif. Mais cette étude rejoint les diverses observations – ci-dessus – tirées de la littérature (Bamako, Dakar, Dar es Salam, Harare…) sur les difficultés financières rencontrées par les citadins africains dans la satisfaction de leur mobilité quotidienne.

L’amélioration des débits horaires d’un système de transport, pour lui permettre de faire face aux axes à forte demande, passe par l’accroissement de la capacité du réseau viaire, l’augmentation de la capacité des véhicules de transport et l’amélioration de leurs techniques d’exploitation. Les trois actions ne sont pas exclusives l’une de l’autre. Or, les caractéristiques du transport artisanal constituent des facteurs limitants du débit horaire, et même annihilants en situation d’hypercongestion. Compte tenu des contraintes physiques et, surtout, financières, l’amélioration de la capacité du système de transport dans les agglomérations subsahariennes ne peut reposer sur la seule composante infrastructure. Par conséquent, il y a une nécessite de remise en cause de l’usage de véhicules de faible capacité par le transport artisanal et plus largement, de son mode de fonctionnement. En outre, au-delà de l’aspect quantitatif, les logiques en œuvre affectent la qualité du service fourni par le transport artisanal dans des agglomérations millionnaires aux flux de déplacement complexes.

L’inadaptation du transport artisanal, conjugué aux conséquences de l’explosion démo-spatiale des grandes agglomérations subsahariennes, d’une part, et à un contexte macroéconomique défavorable, d’autre part, conduit à un renchérissement de la mobilité motorisée. Dégradation du pouvoir d’achat et augmentation du coût d’usage entraînent logiquement une limitation de l’accès à la mobilité motorisée.