c. …pour un cadrage empirique du terme

Ce tour de l’existant à travers la bibliographie permet d’obtenir un cadrage « empirique » des systèmes de transport urbain de masse. Nous pouvons en tirer un certain nombre de remarques. Premièrement, les capacités signalées sont de l’ordre de dizaines de milliers de passagers par heure et par sens. Il s’agit d’un débit horaire potentiel de l’ensemble « Véhicule + Infrastructure + Exploitation ». Mais sur quel espace considérer ce débit potentiel : l’ensemble du réseau, une ligne ou une portion de ligne ? Les véhicules exploités peuvent varier d’une ligne à l’autre d’un réseau, le degré de ségrégation des aménagements n’est pas forcément le même sur toute la longueur d’une ligne et les mesures d’aide à l’exploitation sont généralement plus rigoureuses en zones denses. En fait, ce débit est à adapter en fonction de l’analyse que l’on veut faire du système : on peut, par exemple, être amené à ne considérer que la portion d’une ligne de métro ou de tramway à l’intérieur du noyau urbain central d’une agglomération.

En second lieu, tous les systèmes dont il est question dans les études précédemment citées sont des aménagements en site propre. Pour être en mesure de proposer des capacités de l’ordre de dizaine de milliers de passagers par heure et par sens, il faut en plus que le site propre soit physiquement isolé du reste du trafic. Un bus hors site propre peut-il fournir des capacités qui pousseraient à le qualifier de système de transport de masse ? Dans la bibliographie à notre disposition, il n'est nulle part fait mention d’une liaison par autobus en site classique atteignant un débit horaire de 10 000 passagers par heure et par sens. Les débits avancés par l’étude CERTU sont deux fois moins élevés pour un bus classique par rapport à un bus en site propre (Tableau 18). C’est dire l’importance de l’isolement du reste du trafic sur la vitesse commerciale des transports en commun et, par conséquent, sur son débit horaire. L’implantation d’un système de transport dans le réseau viaire le rend dépendant des conditions de trafic. La capacité sera, dans ce cas, fonction de facteurs externes au système lui-même. Dans le cas particulier des voies exclusives pour bus, un simple marquage visuel (différence de couleur ou de matériau utilisé pour la chaussée) pour les distinguer du reste de la voirie présente des risques élevés de non-respect du site propre par les autres usagers de la route. L’indiscipline routière et les défaillances dans l’application et le respect des réglementations publiques qui caractérisent le contexte des pays en voie de développement imposent de sécuriser les potentiels de capacité des systèmes de transport urbain de masse par un site propre intégral, c’est-à-dire une séparation physique avec le reste du trafic.

Enfin, la capacité propre des véhicules – le nombre de passagers qu’ils peuvent contenir – constituant une composante principale du débit horaire maximum du système, les systèmes de transport urbain de masse relevés dans les pays en voie de développement ont recours à de grands véhicules, d’une contenance au moins égale à celle d’un autobus (80-100 places). Les aménagements busways de Curitiba utilisent même des bus bi-articulés (270 places) pour augmenter leur capacité. Pour maintenir des débits horaires de l’ordre de dizaines de milliers de passagers par sens et par heure avec des véhicules plus petits, il faudrait augmenter leur nombre et/ou leur vitesse commerciale. Dans le premier cas, cela peut conduire à une saturation plus rapide du site propre et à sa congestion, soit une diminution de la vitesse de circulation sur celle-ci. Il s’avère, par conséquent, contre-productif de recourir à de petits véhicules pour répondre aux axes à très forte demande. A Bogota, une tentative d’exploitation de véhicules de plus faible capacité a ainsi montré de réelles limites en termes de congestion et de pollution environnementale : «  This has been demonstrated in schemes such as the busway in Ave Caracas (Bogota) which was used by over 400 small-medium capacity buses per hour per direction and, despite being two lanes in each direction, the busway suffered bus congestion at stops and generally poor operating and environmental conditions » .

Sur la base de l’analyse bibliographique, nous proposons la définition suivante : un système de transport urbain de masse est une technologie exploitée sur site propre intégral, avec des mesures de priorité aux croisements, pouvant fournir un débit horaire de l’ordre de dizaines de milliers de passagers par sens. Elle correspond au terme très utilisé en anglais de Mass Rapid Transit. Dans cette dernière terminologie, la vitesse est prise en compte : cela la rend-elle plus exigeante que celle de « Système de Transport Urbain de Masse (STUM) » ? En nous appuyant sur la capacité du système de transport, nous prenons automatiquement en considération la vitesse de celui-ci. Au-delà du fait qu’elle fait partie de la qualité de service offerte, la vitesse est une composante principale de la capacité du système. Dans la pratique, une vitesse faible permet rarement au système d’atteindre une capacité acceptable, ce qui se comprend très bien dès que l’on se rend compte des limites qu’impose l’augmentation de la capacité propre des véhicules.