1. Les systèmes de transport urbain de masse, un outil de structuration de l’offre de transport urbain

Pour enregistrer des débits horaires de l’ordre de dizaines de milliers de passagers par heure et par sens, les STUM ont besoin d’être alimentés. Compte tenu de l’étalement spatial des grandes agglomérations, surtout dans les pays en voie de développement, les STUM ne peuvent couvrir la totalité des parcours des citadins. A Porto Alegre par exemple, 57 % de la population de l’agglomération réside hors de la commune centre . Selon X. Godard et L. Diaz Olvera , la majorité des habitants de l’agglomération de Santiago a recours à un mode de rabattement pour se rendre au centre. Au Caire, près d’un usager du métro sur cinq a d’abord pris ou prendra un taxi collectif pour compléter son déplacement . Les STUM nécessitent d’être complétés par une offre plus fine de rabattement.

En outre, un STUM constitue une offre de grand gabarit présentant des avantages de rapidité et d’externalités négatives moindres par rapport aux autres transports collectifs. Son aménagement permet donc d’envisager le rabattement des autres modes de transport collectif sur le STUM (Figure 8). Une telle démarche est d’abord encouragée par la recherche d’un usage optimal, c’est-à-dire au maximum de sa capacité, d’un coûteux équipement. Nous aurons plus loin (Chapitre 5) l’occasion d’apprécier le niveau très élevé d’un tel investissement. Grâce à des économies d’échelle, le report des autres transports collectifs en sa faveur améliore ainsi la rentabilité du STUM. D’autre part, il s’agit d’un souci de meilleure utilisation de l’espace urbain. La libération d’emprises par le rabattement de plusieurs liaisons sur le STUM permet leur affectation à d’autres trafics (modes doux ?) et à d’autres activités urbaines. Une logique de complémentarité, plutôt que de concurrence, entre le STUM et les autres modes de transport réduit les risques de présence de doublons contre-productifs.

Quant à envisager le report des modes individuels de transport sur le STUM, les analyses des aménagements dans les pays en voie de développement discutées plus haut en limitent la portée. Des résultats significatifs ne peuvent s’obtenir qu’à la suite d’autres mesures fortes de dissuasion de l’usage des modes individuels de déplacements, en sus de l’aménagement du STUM. Sans aller jusque là, l’aménagement d’un STUM impose néanmoins une prise en compte minimale de l’ensemble des modes de transport. Il s’agit notamment d’organiser au mieux le pré-acheminement des piétons surtout, des cyclistes, des motocyclistes et des automobilistes éventuellement, aux arrêts du STUM.

Figure 8 : L’aménagement d’un système de transport urbain de masse (STUM), un outil de restructuration de l’offre de transport collectif urbain

Mais il convient d’organiser le rabattement des autres modes, en particulier les autres transports collectifs, vers le STUM afin de ne pas dégrader les temps de déplacement, voire pour les améliorer. Le rabattement impose des ruptures de charges qui sont perçues en général comme plus pénibles que les pertes de temps dues à la congestion de la circulation. Il s’agit notamment de faciliter les correspondances en minimisant les temps d’attente par une meilleure planification des départs et des arrivées des véhicules et les temps de transbordement grâce à des mesures physiques (conception des stations, conception des véhicules…) ou organisationnelles (intégration tarifaire supprimant l’achat ou le contrôle de ticket à chaque montée, séparation entre montées et descentes des véhicules…).

En fait, les liaisons de rabattement constituent, avec les trois composantes « véhicules, infrastructures et techniques d’exploitation » du STUM, un prolongement du système qu’il convient également de prendre en compte dans la maximisation du débit horaire que ce dernier propose. Il s’agit de parvenir à une certaine intégration modale entre le STUM et ses liaisons de rabattement. Le Transmilenio de Bogota comprend les autobus en site propre intégral et les autobus de rabattement sur le site propre. Curitiba a mis en place un réseau intégré de transport par autobus, sans distinguer les exploitants sur le site propre intégral de ceux sur voirie classique, avec un guichet unique pour la collecte tarifaire et sa redistribution aux différents opérateurs sur la base de la distance parcourue et du nombre de passagers transportés . D’autres villes brésiliennes se sont ensuite inspirées de ce modèle. Le métro de Caracas, malgré la présence d’artisans opérateurs, tente de développer son propre réseau de rabattement .

En obligeant et en incitant à une approche complémentaire des modes de transport, les STUM présentent des avantages de structuration de l’offre de transport d’une agglomération. Ils hiérarchisent l’offre de transport collectif en liaisons principales et en liaisons secondaires. Ils apportent ainsi plus de lisibilité pour :

  • le planificateur dans la programmation des aménagements,
  • l’autorité régulatrice dans l’administration de l’ensemble de l’offre de transport collectif,
  • l’exploitant dans la production du service de transport,
  • et l’usager dans l’organisation de ses déplacements.

Cependant, une approche globale, complémentaire et réussie de l’offre de transport urbain suite à l’aménagement de STUM est très exigeante sur le plan organisationnel, notamment dans les villes des pays en développement qui se signalent justement par des défaillances sur ce plan. Si quelquefois, en l’absence de toute planification, l’offre se structure du seul fait des avantages relatifs des STUM – comme à Manille où l’usage du bus a décru le long de la ligne LRT– cela reste rare et l’intégration modale nécessite une politique volontariste. De nombreuses analyses, à l’instar des observations de Fouracre et al. , dénoncent la non intégration des transports urbains dans les pays en voie de développement, une trop grande séparation des interventions institutionnelles, des tarifications au profit des bus classiques entraînant une concurrence au détriment des STUM. La non coordination entre l’offre classique et les STUM a notamment des conséquences néfastes sur les concessions ferroviaires dans divers pays d’Asie  : forte concurrence des STUM par les bus à Séoul, embouteillages aux principaux pôles d’échanges des métros de Manille à cause du manque d’organisation du rabattement des minibus, faible fréquentation du Skytrain de Bangkok. Dans cette dernière agglomération, sur les mêmes lignes, circulent le Skytrain, très en-dessous de sa capacité, et les bus, trois fois moins chers et bondés. X. Godard et L. Diaz Olvera rendent compte des difficultés de l’opérateur métro de Santiago en l’absence d’un véritable contrôle du secteur artisanal. Il a signé des conventions tarifaires de rabattement aux terminus avec des bus mais ce service n’est que faiblement utilisé. Et lorsque les deux modes sont mis en concurrence, la préférence des usagers va aux bus qui présentent l’avantage d’une desserte porte-à-porte.

Dans les agglomérations où plusieurs STUM ont été aménagés, nous pouvons également regretter des problèmes de coordination entre eux. Les concessions ferroviaires en Asie du Sud-est se caractérisent particulièrement par une non intégration de leurs réseaux tant avec les bus qu’entre elles . A Tunis, bien que les transports urbains soient le fait d’entreprises publiques (trois opérateurs, un pour chacun des modes bus, métro léger et trains de banlieue), la coordination multimodale n’a pas été développée . Pourtant, autant qu’une intégration entre un STUM et ses rabattements, l’association des différents STUM en un réseau intégré présenterait des avantages certains en termes d’amélioration des conditions de déplacement des citadins.