b. Les systèmes de transport urbain de masse, un important levier pour l’amélioration de l’accessibilité des territoires urbains et un potentiel de structuration urbaine

Les STUM, par les gains de temps qu’ils sont susceptibles d’apporter sur certaines liaisons, constituent un important facteur de rapprochement des territoires urbains desservis. Ils peuvent améliorer l’accessibilité de certains territoires par rapport à d’autres, agissant ainsi sur la localisation résidentielle des citadins et des activités urbaines. De plus, leurs infrastructures s’inscrivent durablement dans l’espace urbain, confortant les choix de localisation qui interviennent en fonction des accessibilités facilitées par les aménagements de STUM. Cette faculté d’amélioration de l’accessibilité doublée d’une permanence spatio-temporelle leur confère un réel potentiel de structuration urbaine que l’on peut principalement percevoir à travers deux enjeux : le maintien de la dynamique des centres villes ou leur redynamisation ; la desserte des quartiers pauvres par un STUM et les conséquences de cette desserte.

Compte tenu de la nature radiale des liaisons desservies par les STUM, l’apport de leur aménagement au système urbain qui semble le moins objet à discussions est l’amélioration ou, au moins, le maintien de l’accessibilité au centre ville. L’aménagement de STUM doit permettre aux centres villes de continuer à jouer leur rôle de poumon économique pour l’agglomération et, par extension, dans certains cas, pour le pays tout entier. Pour P. Fouracre et al. , le centre ville se définit par son caractère de zone la plus accessible de l’espace urbain. Ils estiment que cette accessibilité supérieure est vitale pour de nombreuses activités, notamment celles ayant une grande couverture territoriale ou nécessitant une importante main d’œuvre : sièges sociaux, administrations publiques, certaines activités tertiaires et de loisir… Les STUM constituent un moyen de maintenir l’accessibilité des centres villes en minimisant la consommation d’espace urbain et la génération d’effets externes. X. Godard et L. Diaz Olvera observent ainsi que « le métro [léger de Tunis] a bien contribué à un nouveau dynamisme du centre ville dû à une meilleure accessibilité (…) essentiellement au profit d’une fréquentation des classes moyennes et populaires ». De même, la première ligne de métro du Caire aurait amélioré l’attractivité du centre ville et des zones qu’elle dessert en modifiant le profil des activités qui y ont cours au profit des classes populaires, principaux usagers de la ligne . Mais l’analyse des aménagements de métro dans les pays en voie de développement par Halcrow Fox tempère ces constats : le métro ne favorise le développement des centres villes que si ces derniers sont dans une dynamique de croissance. En outre, l’étude se fonde sur le cas de Bangkok pour regretter que cette amélioration de l’accessibilité des zones centrales soit une accentuation des déséquilibres déjà existants au sein de l’agglomération . Elle renforce des corridors déjà mieux desservis que d’autres zones par les bus.

Il est très difficile pour un STUM, dans les pays en voie de développement, d’éviter les zones pauvres qui couvrent une très grande partie des territoires urbains comme l’atteste l’analyse des 21 cas par Halcrow Fox . Au Caire, s’il a été noté la présence de toutes les couches sociales dans les populations résidant dans le corridor de la première ligne de métro, le niveau de revenus est légèrement plus faible que la moyenne de l’agglomération . X. Godard et L. Diaz Olvera se sont intéressés à la desserte de Ettadhamen, un quartier à habitat spontané, par le métro léger de Tunis. Mais dans une logique où la solvabilité de la demande est une question centrale, X. Godard et L. Diaz Olvera regrettent que la desserte des quartiers populaires par les STUM soit souvent reléguée à la marge des enjeux. Quant aux conséquences de cette desserte, elles sont diversement appréciées selon les villes étudiées et selon les analyses. Si, pour l’étude Halcrow Fox , il n'est pas évident de mesurer les impacts économiques d’un STUM en général, sur les populations pauvres en particulier, l’opérateur du STUM de Taipei s’est essayé à quantifier les retombées économiques de ses aménagements notamment en termes de tourisme, de développement de loisirs et d’amélioration de productivité dans l’agglomération . S. Mitric est catégorique quand il affirme que le métro a amélioré le niveau de vie des populations à faibles revenus à Mexico, à Caracas et à Sao Paulo, mais il ne nous propose aucune évaluation. M. Barone et J. Rebelo espèrent une amélioration des revenus des populations pauvres le long de la ligne 4 du métro de Sao Paulo grâce à une meilleure accessibilité des activités et des emplois. Pourtant, le métro du Caire a « appauvri » certaines zones qu’il traverse : son arrivée a provoqué le départ des couches les plus riches au profit de plus pauvres . Pour l’étude Halcrow Fox , l’aménagement d’une ligne de métro conduit au contraire à une augmentation de la valeur foncière dans les zones desservies, expulsant ainsi les plus pauvres vers d’autres territoires. Quelles que soient les divergences sur les effets d’une desserte des quartiers pauvres par un STUM, on perçoit un certain potentiel de structuration de l’outil.

En fait, nous devons regretter, avec Fouracre et al. , la trop faible prise en considération de la nécessité d’une intégration entre politiques d’urbanisme et politiques de transport lors des aménagements de métros en particulier, de STUM en général, dans les pays en voie de développement. L’absence d’une association étroite et continue entre planification urbaine et offre de transport annihile une grande part du potentiel de structuration de l’espace urbain des STUM. X. Godard et L. Diaz Olvera pensent en outre que la mise en place d’un métro qui soit accessible aux plus pauvres, sans menacer son équilibre, passe par une intégration de son réseau avec bus et minibus, mais aussi par une intégration entre le projet de métro et la planification urbaine. Ils fondent leur raisonnement sur les zones desservies et les niveaux de tarifs appliqués par les métros. D’une part, dans les villes en développement, les plus pauvres sont parfois repoussés en périphérie éloignée. Cette localisation les pousse à privilégier les minibus plus à même de desservir ces zones. En restant confinés dans les zones centrales, les STUM doivent s’appuyer sur des transports de rabattement qui se trouvent être en grande majorité du transport artisanal. D’autre part, le transport artisanal présente un avantage de souplesse tarifaire pour les plus démunis qui peut être difficilement concurrencé. Cette analyse concernant les métros peut s’étendre aux STUM en général.

Il convient cependant de souligner le caractère exceptionnel de Singapour et Curitiba où métro et busways sont des éléments clés de la planification urbaine . Par son « Schéma Directeur » de 1965, Curitiba s’est fixée comme objectifs d’encourager le développement économique par la réduction du coût de la mobilité, du commerce et des échanges urbains, de réduire les coûts indirects des autres services urbains et de préserver son centre historique. Le système de transport, qui s’articule autour de corridors busways, a aidé et guidé l’aménagement de la ville de façon cohérente. Il a contribué :

  • à la limitation de la densité dans le centre,
  • à la diffusion de celle-ci le long des corridors desservis par le transport de masse à travers, notamment, une modulation des hauteurs des constructions en fonction de la proximité des corridors
  • à la diminution de la congestion dans le centre et au développement des “modes doux” de déplacement dans les quartiers,
  • à la facilitation de l’accessibilité des couches défavorisées aux services et aux lieux de travail par l’achat de terrains et la construction de résidences pour ces populations le long des corridors desservis par les busways,
  • au développement d’une zone industrielle concentrant une grande proportion des emplois de l’agglomération aux limites de la ville.

« Avec Zurich, Curitiba est couramment citée comme modèle d’organisation des transports en cohérence avec un urbanisme humaniste » . S’il n’est pas évident d’évaluer avec précision le potentiel de structuration urbaine des STUM, le cas curitibain montre qu’il est réel. Notons que cette planification réussie est intervenue dans un contexte de forte croissance démographique. Selon J. Rabinovitch , entre les années 1950 et 1980, Curitiba a été la ville brésilienne ayant connu la plus forte croissance démographique annuelle, celle-ci atteignant parfois 10 %.

Pour proposer des débits horaires de l’ordre de dizaines de milliers de passagers par heure et par sens, un STUM s’appuie sur une association étroite et optimisée des véhicules, des infrastructures et des techniques d’exploitation. Le succès de cette association se traduit alors par des gains de temps de parcours et la régularité de la desserte pour les usagers du STUM aménagé. Il est également susceptible de bénéficier au système de déplacements urbains et au système urbain sous formes d’externalités. Si le STUM capte des usagers des autres modes de transport collectif et certains usagers des modes individuels, il peut ainsi conduire à une diminution de la congestion. Quant aux externalités positives sur le système urbain, il s’agit de l’amélioration de l’accessibilité des zones centrales le plus souvent desservies par les STUM ou encore de la réduction des émissions de polluants notée sur les axes où ont été mis en exploitation des STUM dans les pays en voie de développement.

Mais les apports d’un STUM pour une agglomération vont au-delà de la seule réponse aux axes à forte demande. Un STUM fait partie du système des déplacements urbains qui est, à son tour, un sous-système urbain (Figure 9). Et, de la même façon que les apports d’un STUM sur l’axe aménagé passent par une association étroite et optimisée des composantes véhicules, infrastructure et techniques d’exploitation :

  • Les apports d’un STUM pour le système des déplacements urbains sont maximisés par une approche globale et complémentaire des différents modes de déplacements urbains. L’intégration, au minimum entre les différents modes de transport collectif, se traduit d’abord par un usage optimal du STUM. C’est particulièrement le cas des liaisons de rabattement qui sont un prolongement du STUM. Ensuite, grâce à la complémentarité entre les modes de transport collectif, elle permet d’assurer une meilleure réponse aux demandes en déplacements. Enfin, cette approche relève d’une recherche d’efficacité dans l’organisation de l’offre de transport collectif afin de minimiser les externalités négatives sur le système urbain.
  • Les bénéfices pour le système urbain sont encore plus importants si l’aménagement du STUM entre dans le cadre d’un schéma cohérent et continu d’actions de planification urbaine. De simple réponse à une croissance démo-spatiale d’une agglomération, le STUM peut contribuer à faire de l’offre de transport urbain un outil d’accompagnement et d’orientation de cette croissance.

Mais, du STUM lui-même au système urbain dans son ensemble, les exigences organisationnelles sont d’autant plus importantes que les apports potentiels de l’aménagement augmentent.

Figure 9 : Du système de transport urbain de masse au système urbain, les exigences organisationnelles, compte tenu de la quantité des éléments à intégrer dans un ensemble cohérent, augmentent avec les apports potentiels