c. La réhabilitation des emprises ferroviaires urbaines : très souvent une fausse opportunité financière mais surtout une couverture spatiale très limitée

Il a été et il reste souvent question de réhabiliter les anciennes voies ferroviaires pour faire du transport urbain (Abidjan, Addis-Abeba, Cotonou, Dakar, Douala, Harare…). Pour les agglomérations les plus avancées dans cette piste, des études d’avant-projet ont été réalisées et des financements recherchés. Pour les autres, la question surgit à chaque fois qu’une réflexion sur les systèmes de transport subsaharien a lieu mais s’arrête souvent à un discours sous la forme de « il n’y a qu’à… ». Il semble logique de penser que les coûts d’aménagement d’un STUM sur d’anciennes voies ferroviaires soient moins élevés que ceux d’un métro classique souterrain ou surélevé. Les études réalisées à Abidjan avancent des chiffres de l’ordre du dixième des coûts d’un métro classique et à Dakar, jusqu’à 20 fois moins cher que ce dernier .

Mais la plupart des infrastructures et des équipements de ces voies sont vétustes et certaines ne sont plus en service depuis plusieurs années. A Douala par exemple, une grande partie du réseau urbain est désaffectée depuis la construction de la nouvelle gare de Bessengué à la fin des années 1980, un peu plus excentrée par rapport au noyau urbain ancien. Sur certaines sections (la vallée de la Besseke), les rails ont été enlevés pour faire place à un boulevard routier. De plus, les distances de sécurité le long des emprises ferroviaires ne sont pas respectées et ce, d’autant plus encore que la voie n’est plus desservie. Des constructions de toutes sortes, allant de logements en matériaux précaires à de grands marchés vivriers, se sont développées sur les bas-côtés et parfois sur les rails même. Il se pose également un problème aux croisements avec la circulation ainsi que pour les traversées piétonnes. Dès lors qu’on veut atteindre de grandes capacités sur ces voies, il devient nécessaire d’isoler le train urbain des autres trafics pour en améliorer la vitesse commerciale. La protection des voies et son isolement du reste du trafic, ajoutées aux travaux de réhabilitation, peuvent représenter un coût important.

Les estimations effectuées pour les projets de train urbain à Abidjan et à Dakar ont été faites il y a plus de 15 ans. Les exigences en termes de sécurisation et d’isolement des voies pour la mise en place d’un STUM n’ont pu que s’accroître sous la pression démographique et il serait étonnant que la dégradation des équipements n’ait pas progressé. Or ces projets de train urbain représentaient, dans le meilleur des cas, un vingtième du coût d’un métro classique pour une capacité maximale de l’ordre de 10 000 passagers par heure et par sens alors que ce rapport peut descendre à un centième dans le cas d’un ASPI pour une capacité équivalente. En fait, malgré un coût moindre par rapport au métro classique, le train urbain nécessite un investissement supérieur à celui d’un ASPI pour des débits horaires guère plus élevés.

La réhabilitation des voies ferroviaires en milieu urbain rencontre souvent une autre difficulté : ces voies, dont l’existence permettrait de réduire les coûts d’investissement, peuvent ne pas coïncider avec les corridors de forte densité urbaine de l’agglomération. Fouracre et al. notent ainsi qu’un grand nombre d’aménagements s’arrêtent trop loin des centres ou en sont tangents parce que résultant de revalorisations d’anciennes emprises ferroviaires. Le projet de Service Ferré de Voyageurs de la Banlieue d’Abidjan en 1987 reconnaissait explicitement « la position excentrée de l’infrastructure » et l’aménagement n’était pas « destiné à absorber le maximum de la demande sur l’axe considéré mais au contraire à soulager le trafic et les flux de véhicule » . Or, un STUM constitue, par définition, un axe structurant de l’offre de transport et vise à capter la plus grande part de trafic sur l’axe desservi. De plus, il est difficile de comprendre que les lourds investissements nécessités par ces aménagements, dans un contexte de rareté de ressources, ne servent qu’à « soulager le trafic ».

L’inadéquation entre les voies ferroviaires et les axes de forte demande se pose également à Dakar. Dans l’attente de la mise en place d’un ambitieux service ferroviaire de desserte urbaine, le PTB (Petit Train de Banlieue) a été mis en service à la fin des années 1980. Plus de 15 ans après, le service n’a pas évolué. Son exploitation se limite aux heures de pointe et il assurait en 2000 moins de 1 % des déplacements motorisés de l'agglomération d’après les résultats de l’enquête EMTSU 44 . Son offre n’est pas calibrée pour des capacités de l’ordre de dizaines de milliers de passagers par heure et par sens et même s’il l’était, il n’y a pas une telle demande. Sa situation hors de l'axe principal de développement urbain, la faiblesse de son bassin versant, la saturation du réseau ferroviaire ne permettant pas de faire évoluer le service ainsi que l'insuffisance du réseau viaire de diffusion/rabattement dans le centre à partir du terminus sont autant de freins au développement de ce service. Le projet de Train Urbain consistait en une approche volontariste de structuration urbaine de l’agglomération dakaroise . Le seul aménagement de ce système de transport aurait-il suffi ? Compte tenu des difficultés d’aménagement urbain en Afrique subsaharienne, on peut penser qu’il aurait fallu agir simultanément sur d’autres leviers, donc une mobilisation de ressources supplémentaires pour la mise en œuvre de ces actions.

Dans le projet abidjanais comme dans le dakarois, il devient dès lors plus adéquat d’apprécier cette opportunité financière par rapport aux capacités qu’elle offre. Ces emprises présentent l’avantage d’exister, mais l’inconvénient de n’exister que sur un ou deux axes bien précis et d’exister pour la plupart depuis la période coloniale. Ces opportunités doivent être appréciées au cas par cas mais ne sauraient de toute façon constituer un réseau étendu à toute l’agglomération. Dans bien des cas, les ASPI seraient plus adaptés sur les axes où sont situées ces emprises. Mais, dans tous les cas, les ASPI représentent la technologie la moins coûteuse pour couvrir l’ensemble de l’agglomération.

Notes
44.

Suite au redressement que nous avons effectué (cf. Annexe 2)