1. Un financement public de la construction d’un site propre intégral pour autobus

a. Indivisibilité, nature du bien transport, externalités et myopie du marché : les justifications du financement public des infrastructures de transport par la théorie économique

Dans l’analyse économique, le transport présente un certain nombre de spécificités qui mettent à l’épreuve les mécanismes du marché. L’une des plus notables est l’existence de rendements croissants dans la gestion des infrastructures : lorsqu’on augmente les dépenses consacrées aux infrastructures en les multipliant par un facteur "x", la quantité de transport est multiplié par plus que "x" pour une qualité de service équivalente. Sur un marché, en situation optimale d’équilibre, les prix s’établissent au coût marginal de production, c’est-à-dire le coût de la dernière unité produite. Dans le cas des infrastructures de transports, pour cause de rendements croissants, le coût moyen de production est supérieur au coût marginal. Le coût marginal de production d’une infrastructure de transport peut même être nul : le coût de construction est très important et, lorsqu’il y a une réserve de capacité, un usager de plus ou de moins n’y change pas grand chose. Par conséquent, une tarification au coût marginal d’usage provoquera un déficit qu’il faut compenser. Employant l’exemple d’un pont sur une rivière, Y. Crozet parle d’une indivisibilité de l’offre et estime que c’est la raison pour laquelle « la puissance publique doit prendre en charge l’établissement et l’entretien de cet ouvrage qui se présente ainsi comme l’équivalent d’une ressource naturelle à laquelle chacun doit pouvoir accéder librement ». Cette assertion pourrait aussi bien convenir à d’autres grandes infrastructures de transport dont celles d’un ASPI.

Si les infrastructures de transport ne constituent pas des « biens collectifs purs », au sens de la classification économique, elles s’en rapprochent. Premièrement, l’usage d’une infrastructure de transport, contrairement à son offre, n’est pas indivisible : on peut en exclure un agent (on parle de « bien exclusif »). Mais il convient de prendre en compte le contexte particulier de notre réflexion. En Afrique subsaharienne, le transport collectif constitue l’unique alternative à la marche pour la grande majorité de la population pour accéder aux activités urbaines. Les exclure de l’accès aux modes de transport collectif équivaut à une ségrégation dans l’usage des activités et de l’espace urbains. Deuxièmement, l’usage d’une infrastructure de transport par un agent réduit les possibilités des autres agents (critère de « rivalité »). Lorsqu’un passager embarque dans un véhicule de transport collectif, il réduit la capacité disponible pour d’autres passagers. Mais rappelons que nous nous intéressons à des systèmes de transport de grande capacité, dimensionnés pour se substituer à l’offre actuelle et couvrir ainsi toute la demande potentielle. Le critère de « rivalité » dans l’usage d’un STUM reste donc limité. Ainsi, il est communément admis que les infrastructures de transport appartiennent à la classe des biens collectifs.

L’aménagement d’un STUM relève d’une volonté planificatrice de la cité par la puissance publique. Des dimensions autres que la production de transport entrent en ligne de compte : urbanisme, environnement, économie urbaine, social… Les infrastructures sont sensées dégager des externalités positives, leur utilité sociale est alors supérieure à l’utilité calculée par les acteurs du marché. L’optimum économique voudrait dans ce cas qu’un agent tutélaire – l’Etat – intervienne, notamment par le financement de la construction, pour faire prendre en compte l’intérêt de la collectivité. La propriété privée des infrastructures, intéressée par une rentabilité à court terme et une maximisation du profit pour un investissement minimal, augmente les risques de non-atteinte des objectifs d’une utilité collective des infrastructures de transport en général, d’un STUM en particulier. « Si l’Etat ne prend pas en charge la construction des routes ou des ports, il n’y en aura pas ! Ou ils seront de médiocre qualité (…) »  : cette exclamation n’est que la traduction d’un constat fait deux siècles plus tôt déjà par Adam Smith, un des pionniers de l’économie publique.

Un autre défaut de la régulation par le marché des infrastructures de transport est lié à leur longue durée de vie et aux délais de construction. Les investissements usuels atteignent rarement une telle durée de vie et quand c’est le cas, il est souvent possible de les adapter (un immeuble, par exemple, peut servir de logements ou de bureaux). Les possibilités d’adaptation d’infrastructures de transport sont par contre quasi-inexistantes. Le fonctionnement du marché est mal adapté à des décisions d’une aussi longue portée (« le marché est myope »).

Si l’on admet la nécessité d’un financement public pour la construction des infrastructures de transport, il faut s’interroger sur le niveau de cette contribution. En prenant la question dans l’autre sens, le niveau de contribution de l’usager plutôt que l’apport de la collectivité, cela revient à s’interroger sur la tarification à mettre en place. Y. Crozet , qui reconnaît que la question de couverture des coûts et donc du financement se présente ici de façon particulière du fait de l’existence de rendements croissants et de l’intervention publique, propose une palette d’options en matière de méthodes de tarification des transports :

  • à l’équilibre budgétaire : les recettes doivent couvrir l’ensemble des dépenses engagées pour la construction et l’entretien des infrastructures,
  • au coût économique complet : en plus des coûts de construction, les recettes doivent également couvrir les coûts de renouvellement et éventuellement leur extension,
  • au coût marginal d’usage : les équipements sont considérés comme une ressource gratuite mise à disposition des usagers, n’est imputé aux utilisateurs que le coût d’usage,
  • au coût marginal social : la tarification tente d’internaliser les effets externes négatifs.

Dans cette analyse des méthodes de tarification en œuvre dans le transport, qui permet une meilleure lecture du financement des STUM aménagés dans les pays en voie de développement, on s’aperçoit que la contribution de la collectivité (« impôt neutre ») peut aller jusqu’à la prise en charge totale de la construction des infrastructures. E. Quinet pense qu’il convient de distinguer les investissements de productivité – lorsque l’intérêt de l’exploitant coïncidence avec l’intérêt collectif – des investissements d’intérêt public. Dans ce dernier cas, la construction de l’infrastructure doit être subventionnée par la collectivité. C’est ce schéma que l’on retrouve dans la plupart des STUM aménagés dans les pays en voie de développement.