c. Le recours au financement privé des infrastructures de transport urbain de masse : des expériences mitigées en Asie du Sud-est

Certaines agglomérations des pays en voie de développement ont tenté de s’appuyer sur le secteur privé pour financer leurs infrastructures de transport urbain de masse. Elles y ont été poussées par la faiblesse des ressources publiques. Mais c’est également un moyen pour la collectivité de transférer au secteur privé les risques commerciaux et financiers liés à l’aménagement. Il ne s’agit pas, en premier lieu, d’une recherche d’investissements rentables. C. Rizet fait d’ailleurs remarquer que la « tendance vers le financement privé est encore plus sensible dans les pays en développement, d’une part parce que le manque de fonds y est plus crucial par rapport aux besoins en investissements, d’autre part parce que cette tendance s’est développée plus tardivement ». S’appuyant sur les cas de Kuala Lumpur, Bangkok, Hong Kong et Manille, l’étude Halcrow Fox remarque que les aménagements par le privé présentent généralement le séduisant avantage d’être mieux contrôlés en termes de coûts et de délais de construction.

Cependant ces financements par le privé ne sont pas si aisés à monter, comme en témoignent les échecs rencontrés par Sao Paulo et Bogota. Ces deux agglomérations avaient vainement tenté d’intéresser le secteur privé à l’aménagement d’un ASPI sous la forme de BOT 46 , avant de finalement se résoudre à construire les infrastructures avec un financement public .

Mais les tentatives les plus notables de s’appuyer sur le secteur privé sous la forme de BOT ont eu lieu en Asie du Sud-est. Une étude portant spécifiquement sur ces aménagements (Bangkok, Manille, Séoul, Singapour et Taipei) pointe la complexité de ces opérations . Le cas de Manille constitue une véritable caricature des problèmes qu’ils peuvent rencontrer : encadrement public défaillant, préparation et maturation insuffisantes du projet, difficulté d’intéresser le secteur privé, faible expérience du secteur privé local dans le domaine, surestimations du trafic attendu, systèmes non pensés dans un schéma intégré de transport, concurrence sauvage des artisans… Dans les années 1990, le gouvernement philippin décide de s’appuyer sur le secteur privé pour le développement de ses STUM afin de minimiser le poids des projets sur le budget national, de réduire les emprunts extérieurs et de profiter de l’efficacité du secteur privé pour satisfaire ce service. La première ligne, ouverte en 1984 (métro léger) avait été financée par des emprunts domestiques – à des taux d’ailleurs jugés très élevés – et son exploitation confiée à la gestion privée. La seconde ligne, suite à l’échec d’un financement privé, fut finalement construite avec l’aide japonaise. La troisième ligne, quant à elle, fut construite sous financement privé, les emprunts ayant été garantis par l’Etat philippin, mais se retrouve sous-exploitée à cause de ses tarifs élevés et d’une accessibilité aux stations jugée pénible. D’après M. De Langen et al. , la ligne 3 de Manille enregistre un ratio recettes sur charges (annualités d’investissement comprises) de 20 %. L’étude PADECO estime que les montages philippins n’ont rapporté que des inconvénients à la collectivité là où ils devaient lui faire faire des économies : les opérateurs privés récoltent des bénéfices, l’Etat endosse finalement tous les risques et les apports des aménagements pour la population sont limités.

L’étude dresse également un tableau sombre des concessions privées BOT asiatiques sur le plan financier comme sur le plan des autres objectifs assignés aux aménagements. Si les bouleversements économiques de la sous-région ont affecté les coûts financiers des projets et les prévisions de trafic, ils ne justifient pas toutes les défaillances. L’analyse des BOT asiatiques montre que, du moins en début d’exploitation, les recettes peuvent s’avérer insuffisantes pour couvrir à la fois les charges directes et l’amortissement de l’infrastructure et des véhicules. Il faut donc compenser la différence par des subventions publiques, une taxation favorable ou encore des recettes provenant de l’exploitation commerciale et foncière de l’espace aménagé pour le STUM .

Même dans une logique de financement privé de la construction des infrastructures de transport urbain de masse, la puissance publique est sollicitée au moins en tant que garantie des emprunts. Si ces emprunts proviennent de capitaux étrangers, les Etats permettent, entre autres, l’obtention de faibles taux auprès d’Etats étrangers et des institutions internationales ou encore l’adoption d’un calendrier de remboursement plus flexible pour l’opérateur privé. Ces expériences montrent en quelque sorte que, seulement dans des cas exceptionnels, les STUM nécessitent une implication publique financière.

Notes
46.

Built Own Transfer, que l’on traduit en français par « Construire-Exploiter-Transférer » (CET) : l’opérateur privé aménage le STUM, l’exploite en franchise pendant un certain nombre d’années. Le terme CET étant peu utilisé dans la littérature, nous emploierons l’acronyme anglais.