2. Les capacités publiques de financement de la construction d’un site propre intégral pour autobus en Afrique subsaharienne

a. L’Afrique subsaharienne plus pauvre que l’Amérique latine : l’aménagement d’un site propre intégral pour autobus compromis ?

Quelle est la situation de l’Afrique subsaharienne par rapport à celle de l’Amérique latine sous l’angle de la capacité financière à aménager un ASPI ? C. Barbieux et F. Kühn se sont plus particulièrement intéressés à l’aménagement d’un métro léger de surface et proposent la prise en compte de la production intérieure brute par habitant comme indicateur décisionnel sans cependant s’avancer à donner un seuil. Faisant également appel à un indicateur macroéconomique proche – le revenu moyen par habitant – P. R. Fouracre et al. pensent qu’un niveau minimum est nécessaire pour assurer la viabilité d’un métro. Le revenu moyen annuel par habitant doit être au moins égal à 1 800 dollars pour l’agglomération, ce qui ne serait possible, toujours d’après eux, que pour un revenu moyen national par an et par habitant supérieur à 1 000 dollars 47 . Dans les deux analyses, il est question de systèmes ferroviaires. Mais nous pouvons nous servir des indicateurs préconisés pour comparer la situation des quatre pays d’Amérique latine où des ASPI ont été aménagés, à celle de l’Afrique subsaharienne. Les produits intérieurs bruts du Brésil et du Mexique sont tous les deux supérieurs à celui de l’ensemble de l’Afrique subsaharienne pour une population quatre à sept fois inférieure (Tableau 49) ! Le niveau de revenu par habitant dans les pays latino-américains où ont été mis en exploitation des ASPI est au moins trois fois supérieur (douze fois pour le Mexique) à celui des pays d’Afrique subsaharienne.

Tableau 49 : Le niveau de revenu dans les pays d’Amérique latine où ont été aménagés des systèmes d’autobus en site propre intégral est, en moyenne, nettement supérieur à celui de l’Afrique subsaharienne
Zone géographique PIB en 2003
(en milliards USD)
Population en 2003
(en millions d’habitants)
RNB/habitant
en 2003 (en USD)
Afrique subsaharienne 439 705 500
Brésil 492 177 2 720
Colombie 78 45 1 810
Equateur 27 13 1 830
Mexique 626 102 6 230

Source : Banque Mondiale : « http://www.worldbank.org/data/», 09/08/05

Il convient cependant de préciser que ce ne sont là que des moyennes qui masquent des écarts entre les différents pays d’Afrique subsahariennes d’une part, entre les villes et les zones rurales, en Afrique subsaharienne comme dans les pays latino-américains cités, d’autre part. Par exemple, selon la même source (Banque Mondiale), le produit intérieur brut de la République Sud-africaine représente un tiers du produit intérieur brut de l’Afrique subsaharienne et son revenu moyen par habitant est supérieur à celui du Brésil. Mais en dehors de cela, quelle pertinence accorder à cet indicateur ?

Lorsque Curitiba a commencé à aménager son réseau d’autobus en site propre intégral dans les années 1970, le pays était encore loin de figurer parmi les dix premières puissances économiques mondiales 48 . Au Brésil et au Mexique, et plus généralement en Amérique latine, les ASPI ne constituent pas la pointe de la technologie des transports urbains de masse. Sept agglomérations brésiliennes (Belo Horizonte, Brasilia, Fortaleza, Porto Alegre, Recife, Rio de Janeiro et Sao Paulo) et la seconde ville de Colombie (Medellin) ont aménagé des systèmes ferroviaires. Le métro de Mexico, d’une longueur de 200 kilomètres et plus de quatre millions de passagers par jour 49 , figure parmi les réseaux les plus vastes et les plus fréquentés au monde. Le niveau de production intérieure brute ou de revenu moyen par habitant des pays d’Amérique du sud ne saurait être interprété comme un seuil minimum censurant l’opportunité d’aménager ou non un ASPI. Plutôt que l’exclusion d’un aménagement d’un ASPI dans les agglomérations subsahariennes, les écarts constatés sur le plan macroéconomique ne pousseraient-ils pas plutôt à privilégier des infrastructures moins lourdes que celles du Transmilenio de Bogota ou une technologie moins coûteuse que le Trolebus de Quito ?

Tableau 50 : La Production Intérieure Brute des pays d’Afrique subsaharienne comptant des agglomérations millionnaires
Agglomération Population en 2003i
(en millions d'habitants)
Pays PIB en 2003ii
(en milliards USD)
Lagos 10,1 Nigeria 58,4
Kinshasa 5,3 RD Congo 5,7
Khartoum 4,3 Soudan 17,8
Abidjan 3,3 Côte d'Ivoire 13,7
Addis-Abeba 2,7 Ethiopie 6,7
Luanda 2,6 Angola 13,2
Nairobi 2,6 Kenya 14,4
Dar es Salam 2,4 Tanzanie 10,3
Dakar 2,2 Sénégal 6,5
Douala 1,9 Cameroun 12,5
Accra 1,8 Ghana 7,6
Antananarivo 1,7 Madagascar 5,5
Harare 1,5 Zimbabwe n. c.
Conakry 1,4 Zambie 4,3
Lusaka 1,4 Guinée 3,6
Bamako 1,3 Mali 4,3
Kampala 1,2 Ouganda 6,3
Maputo 1,2 Mozambique 4,3
Mogadishu 1,2 Somalie n. c.
Brazzaville 1,1 Congo 3,6

Sources : iUnited Nations
iiBanque Mondiale : « http://www.worldbank.org/data/ », 09/08/05

C. Barbieux et F. Kühn proposent une mesure de l’effort que peut assumer une collectivité pour son système de transport : « Sur une période de 20 ans, 1 % de la PIB constitue un effort remarquable pour les investissements en transports collectifs et 0,5 % un effort raisonnablement équilibré. L’enveloppe financière ainsi fixée, est un indicateur pour déterminer les limites dans lesquelles les projets de transports collectifs peuvent s’inscrire ». En simplifiant le raisonnement, un aménagement similaire à celui d’Addis-Abeba (565 millions de birrs éthiopiens, soit 65 millions de dollars 50 ) représente au plus quatre ans d’un investissement régulier de 0,5 % du PIB pour les pays subsahariens (hors République Sud-africaine) comptant au moins une agglomération millionnaire (Tableau 50).

Nous ne pouvons nous en tenir aux écarts en termes de niveau de revenu entre les pays latino-américains et les pays africains pour sanctionner la capacité de ces derniers à aménager un ASPI. De même, c’est aller vite en besogne que de se limiter au produit intérieur brut des pays africains pour conclure à leur capacité à aménager de tels systèmes. Au-delà des indicateurs macro-économiques, il nous semble plus pertinent d’interroger les montants des dépenses publiques dans les pays africains et plus particulièrement celles consacrées aux infrastructures de transport dans les grandes agglomérations.

Notes
47.

Probablement à la fin des années 1990.

48.

Dans la période 1966-1980, le Brésil a connu une croissance annuelle du PIB d’un peu moins de 6 % (source : Banque Mondiale : « http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/COUNTRIES/LACEXT/BRAZILEXTN/ 0,,menuPK:322351~pagePK:141132~piPK:141107~theSitePK:322341,00.html », 13/01/05).

49.

Source : STC (exploitant du réseau) : http://www.metro.df.gob.mx/, consulté le 13/01/05.

50.

Taux de conversion : 1 USD = 8,7 Birrs.