b. Insuffisance des capacités de financement des collectivités locales

Nous nous intéressons aux capacités de financement public d’une infrastructure pour ASPI dans les grandes agglomérations subsahariennes. Il convient donc de s’interroger d’abord sur les moyens des collectivités locales, les institutions les plus directement aux prises avec les besoins des citadins. Dans le vaste débat suscité par la vague de décentralisation des compétences vers les municipalités en Afrique subsaharienne, nous nous limitons ici à l’analyse de la capacité de financement de ces structures. Nous aurons plus loin l’occasion de discuter d’autres aspects de cette décentralisation.

Les dénominations de ces structures sont nombreuses – commune, communauté urbaine, province, région (ou équivalents en anglais et en portugais) – et traduisent des différences en termes de :

  • délimitation du territoire de compétence : si la plupart des agglomérations se retrouvent circonscrites au sein d’une seule structure administrative (région, communauté urbaine…), certaines sont subdivisées en unités administratives autonomes (communes, districts…). C’est notamment les cas à Accra (les municipalités de Accra, Ga et Tema), à Dakar (communes de Dakar, Guédiawaye, Pikine et Rufisque) et à Maputo (districts urbains de Maputo et Matola). Généralement, on retrouve les deux cas de figure avec des collectivités locales à deux niveaux : la Communauté Urbaine de Dakar regroupe ainsi les différentes communes urbaines de l’agglomération dakaroise. Enfin, quelques agglomérations, à l’instar de Luanda, peuvent se retrouver fondues dans une structure administrative qui couvre également des zones rurales.
  • mode de désignation des responsables municipaux, donc de responsabilité vis-à-vis des citadins et, inversement, autonomie vis-à-vis des autorités nationales : les systèmes politiques vont de l’élection par les habitants – au moins du conseil de délibération – à la nomination de tous les responsables par l’administration centrale. A Luanda, les neufs administrateurs municipaux sont nommés par le gouverneur de la province, le représentant local du gouvernement central . Entre ces deux extrêmes, il existe un large éventail de modes de désignation intermédiaires des responsables municipaux.
  • ancienneté de la structure : dans certains pays, les structures municipales sont très anciennes, datant parfois des lendemains de l’indépendance (la plupart des pays de colonisation anglaise ou encore le Cameroun et le Sénégal) ; dans d’autres, la décentralisation est plus récente, surtout dans les années 1990 (la plupart des pays de colonisation française).
  • niveau de compétences : selon les agglomérations, les compétences qui leur sont dévolues sont plus ou moins importantes, notamment pour la construction et l’entretien des infrastructures viaires.

En général, dans les agglomérations où la décentralisation des compétences est plus avancée, on constate un partage théorique de responsabilités entre administrations locales et Etat pour la construction et l’entretien de la voirie : les premières s’occupent du réseau local et le second, du réseau national. Mais dans la pratique, les administrations municipales contribuent peu à la construction des infrastructures. Sur la période 1997-2002, les fonds propres des communes de Douala et Ouagadougou consacrés aux investissements de voirie ont respectivement représenté 235 millions de F CFA pour la première ville, 219 millions pour la seconde 51 . Une étude réalisée en Afrique de l’Est constate également une forte dépendance de Dar es Salam et de Nairobi vis-à-vis des Fonds routiers nationaux pour la construction et l’entretien de leurs infrastructures viaires . Rappelons que le kilomètre de voirie urbaine bitumée à Conakry et à Yaoundé se situe autour des 500 millions de F CFA – soit environ un million de dollars 52 – et le coût kilométrique du projet d’ASPI d’Addis-Abeba est estimé à plus de 4 millions de dollars. Rares sont les agglomérations qui, comme Addis-Abeba, peuvent se permettre d’envisager la construction d’infrastructures nouvelles à hauteur de 17,4 millions de dollars dans le budget 2000/2001 .

Les capacités de financement des municipalités des agglomérations africaines sont trop faibles au regard des coûts de construction des infrastructures viaires. Le constat qui a été fait en Afrique de l’Ouest (Tableau 51) peut être, à quelques exceptions près, généralisé à toute l’Afrique subsaharienne. A Dar es Salam par exemple, les recettes espérées par la municipalité en 1999 étaient de 12 millions de dollars . On aurait pu penser que des agglomérations plus grandes et réputées plus riches telles que Abidjan et Dakar disposeraient d’une capacité d’investissement plus importante. En fait, les charges de fonctionnement augmentent avec la taille de l’agglomération, grevant ainsi les capacités d’investissement. A Douala, sur la base d’un budget de près de 15 milliards de F CFA pour le compte de l’exercice 2001/2002, les services techniques de la Communauté Urbaine estimaient un programme d’investissement impossible parce que les recettes étaient inférieures aux dépenses de fonctionnement .

Les maigres ressources dont disposent les administrations locales des grandes agglomérations africaines proviennent pour la plupart de l’Etat. C’est encore plus le cas des recettes d’investissement, en général des subventions de l’Etat. En 1997, J. M. L. Kironde et M. Yhdego faisaient le même constat à Dar es Salam : « Of the crucial importance is the fact that much of the revenue of the urban authorities comes directly from the central government ». Les récentes décentralisations n’ont pas changé grand chose sur le plan de la capacité d’investissement des collectivités locales. Elles n’ont pas été accompagnées d’un transfert suffisant des moyens financiers, ce qui fait même dire à certains que la décentralisation subsaharienne procède d’abord d’une recherche de nouvelles ressources financières . Or la paupérisation et l’informalisation de la société urbaine laissent peu de marges du côté de la fiscalité locale. C. Farvacque-Vitkovic et L. Godin estiment que les communes, en Afrique subsaharienne francophone, collectent à peine 1 % du PIB des pays, alors que le milieu urbain génère 60 % de ce PIB.

Tableau 51 : Les capacités d’investissement et les dépenses réelles d’investissement des principales agglomérations des pays de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) en 2001
Agglomération Capacité d’investissement*
(en milliards de F CFA)
Dépenses réelles d’investissement
(en milliards de F CFA)
Abidjan 6,3 5,3
Bamako 6,0 5,9
Cotonou 1,6 1,5
Dakar 2,8 1,5
Lomé 1,3 0,4
Niamey 5,0 1,4
Ouagadougou 4,2 3,5

Source : Programme de Développement Municipal : « http://www.pdm-net.org/Newsite/french/pdm/
programmes/ecofiloc/filoc/fin_uemoa.htm », 13/01/05

*Epargne nette (recettes réelles de fonctionnement - dépenses de fonctionnement - amortissement de la dette) + recettes réelles d’investissement

Le statut des collectivités locales – fait nouveau pour certaines – leur permet en général de contracter des emprunts ou de bénéficier d’aides pour réaliser leur programme d’investissements. Si certaines aides leur sont directement versées, les accords de crédit sont très souvent passés avec l’Etat qui les rétrocède ensuite aux municipalités. Dans l’avenir, assisterons-nous à des emprunts directs sans passer par les Etats ? Cela ne pourra être raisonnablement envisagé qu’avec le transfert de l’Etat vers les municipalités de moyens financiers adéquats. Mais l’Etat peut-il transférer des ressources qu’il n’a pas ?

Notes
51.

Conclusion d’une étude réalisée en 2003, par SITRASS, sur l’implication des collectivités locales dans la gestion des transports urbains en Afrique de l’Ouest et du Centre, pour le compte du Programme de Développement Municipal (PDM) (Rapport final non publié).

52.

Taux de conversion : 1 USD = 500 F CFA.