3. Le financement externe en Afrique subsaharienne, un équilibre à rechercher entre dépendance et nécessité d’investir dans les infrastructures publiques

a. Limites et conséquences d’un financement externe des infrastructures

Du fait de la faiblesse de son épargne intérieure, le financement public des infrastructures en Afrique subsaharienne passe essentiellement par des apports externes. Ce financement externe se décompose en trois catégories aux conséquences différentes :

  • les investissements directs étrangers (IDE), flux de capitaux privés étrangers en direction d’un pays ;
  • l'aide, que P. Hugon définit par un « transfert de surplus ou de ressources financières matérielles et humaines « hors marché » entre pays donateurs et receveurs » ; bien que la notion aille au-delà des flux financiers, nous nous limiterons à ce dernier aspect ;
  • les prêts de différents bailleurs de fonds (Etats, organisations internationales, banques privées).

Mais les pays subsahariens ont surtout recours aux deux dernières catégories de financement externe. Selon P. Hugon , du fait notamment des instabilités politiques, de l’étroitesse des marchés et de l’importance des risques, l’Afrique subsaharienne est peu concernée par les flux de capitaux privés : les investissements directs étrangers y ont représenté, entre 1980 et 1996, 2 % du total mondial contre 30 % pour l’Asie. En 2002, les investissements directs étrangers en Afrique subsaharienne ont représenté 1 % du total mondial et 5 % de ceux de l’ensemble des pays à revenus faibles ou intermédiaires 54 . De toute façon, s’agissant plus particulièrement de financement d’infrastructures, la Banque mondiale notait il y a dix ans une participation du secteur privé à hauteur de 7 % pour l’ensemble des pays en développement. L’organisation internationale avait bon espoir de voir doubler cette part en 2000. Mais le « climat pour l’investissement » particulièrement risqué de l’Afrique subsaharienne nous incite à plus de modération, surtout pour les investissements à long terme que constitue un site propre intégral pour autobus.

Quant à l’aide publique au développement, elle n’a de cesse de se réduire depuis la chute du mur de Berlin : elle est passée de 14,7 milliards de dollars en 1990 à moins de 10 milliards en 2000 . Selon la Banque mondiale , l’aide multilatérale et bilatérale contribue au financement des infrastructures dans les pays en développement à hauteur de 12 %. Il arrive que les dons extérieurs financent jusqu’à 80 % des investissements publics en infrastructures . Si « les tests réalisés pour la période 1980-1987 sur trente pays africains montrent que les taux d’investissement étaient liés positivement avec le montant global de l’aide » , le financement des infrastructures par les dons pose un certain nombre de problèmes :

  • Premièrement, il convient de s’interroger sur l’efficacité de cette aide. Il est souvent reproché aux pays africains leurs faibles capacités d’absorption, c’est-à-dire qu’ils sont plus rapidement soumis à des rendements marginaux décroissants de l’aide : le seuil d’aide au delà duquel un dollar supplémentaire est relativement moins productif y est plus faible. Notons cependant que, du point de vue du receveur, si ce dollar supplémentaire est moins productif, il reste tout de même productif. Cette question se pose surtout pour le donateur qui cherche à répartir plus efficacement son aide.
  • L’aide peut comporter des effets pervers pour le projet auquel elle est destinée. Un apport immédiat et gratuit introduit un biais en faveur des projets capitalistiques et altère souvent la prise en compte des charges récurrentes qui y sont liées. Le receveur est tenté de satisfaire le donateur, passant au second plan des enjeux majeurs concernant l’aménagement financé. De plus en plus, les conditionnalités de l’aide font du donateur le véritable décideur des aménagements et il n’est pas sûr cela aille dans le sens de la réussite du projet et de sa pérennisation.
  • Enfin, il s’agit d’un constat pragmatique des limites de l’aide pour le financement des infrastructures. L’aide est plus souvent recherchée pour elle-même que pour l’investissement qu’elle représente : elle constitue un apport en devises dont la transformation en monnaie locale met à la disposition de l’Etat des ressources supplémentaires. Une analyse effectuée dans 14 pays en développement a montré que « seuls 29 cents d’un dollar sont dirigés vers des dépenses d’investissement, le reste allant à la consommation du gouvernement » . P. Hugon perçoit l’aide comme une bouée qui permet juste aux Etats subsahariens de maintenir la tête hors de l’eau en desserrant les contraintes en devises et en assurant les dépenses budgétaires minimales. D’ailleurs, il note que pour une valeur de 100 en flux d’entrée, il en ressort immédiatement 60.

H.-F. Henner s’est plus particulièrement penché sur la dangerosité de la dernière catégorie de financement externe, l’emprunt. Si les infrastructures telles que celles réservées à un STUM à base de bus sont très rentables sur le plan social et à terme, elles ne permettent généralement pas de générer les devises nécessaires pour assurer le service de la dette. Les Etats auront alors à choisir entre payer les intérêts de la dette ou financer des importations considérées comme indispensables ; c’est vers la dernière alternative que se portera plus spontanément le choix. Et lorsqu’un Etat n’assure plus le service de la dette et/ou que les devises disponibles s’amenuisent, les capitaux fuient le pays, la spéculation tend à se développer et la convertibilité de sa monnaie est menacée.

Au-delà de l’analyse théorique des effets du financement d’une infrastructure par l’emprunt extérieur, il est un constat qui est lourd de conséquences sur les investissement actuels et futurs en Afrique subsaharienne : la région est déjà lourdement endettée. Sa dette extérieure représentait, en 2002, 210 milliards de dollars . Et selon M. Diouf , 97 % de la dette extérieure africaine est constituée de dettes consenties aux Etats ou sur garantie publique. Ce qui fait le poids de la dette africaine n’est pas tant son montant, qui est modeste par rapport à la dette de l’Amérique latine (728 milliards de dollars en 2002 pour l’ensemble Amérique latine et Caraïbes ), que son importance par rapport à sa population et à sa production. Selon P. Hugon , la dette de l’Afrique subsaharienne – hors Afrique du Sud – représentait, en 1998, 177 % des exportations de biens et de services et 61 % de son produit national brut ; le service de la dette représentait 15,1 % des exportations, dont la moitié sous forme d’intérêts. Une autre caractéristique de la dette africaine est sa forte croissance : entre 1970 et 1982, elle a connu une croissance annuelle de 25 % , elle a triplé entre 1980 et 1998 . Si nous passons sur les causes et les facteurs de cet endettement qui font l’objet d’une abondante littérature, il convient d’apprécier ses conséquences sur les capacités de financement public des infrastructures. Pour P. Hugon , « il tarit l’accès aux flux financiers extérieurs », prêts bancaires et investissements directs étrangers, et l’aide ne peut compenser ces derniers. De plus, il exerce des effets de contagion sur le système financier externe : le mode de règlement de la dette externe gonfle la dette publique interne, ce qui conduit à privilégier des opérations de rentabilité à court terme du système bancaire. Cette dernière conséquence n’est pas sans effets sur les opérateurs de transport urbain, comme nous l’avons vu plus haut et nous aurons l’occasion d’en rediscuter plus loin.

Notes
54.

Classement selon le revenu national par habitant en 2003 : au plus 765 USD pour les pays à faibles revenus, entre 766 et 9 385 USD pour les pays à revenus intermédiaires, au moins 9 386 USD pour les pays à revenus élevés.