b. Mais nécessité d’investir dans des infrastructures à « haut rendement économique »

« Les infrastructures, assimilées à des équipements, constituent le support essentiel à la prestation d’un ensemble de services indispensables pour assurer la croissance économique et pour satisfaire les besoins fondamentaux de la population » . Dans cette définition, notons d’abord la présence des qualificatifs « essentiel », « indispensable » et « fondamental ». Ensuite, l’accent est mis sur les services dont l’infrastructure ne constitue que le support ; il convient d’y associer la « superstructure », c’est-à-dire l’organisation et la gestion associées à l’infrastructure. Enfin, la définition affecte deux fonctions aux infrastructures : satisfaction des besoins ; vecteurs du développement économique. J. Poirot propose une distinction qui se veut exhaustive entre les « services infrastructurels » :

  • Les services qui correspondent aux besoins essentiels : l’éducation, la santé, les assurances sociales, le logement et le bâtiment.
  • Les services qui constituent un soutien technique aux opérations de production des entreprises et de consommation des ménages : le transport public et privé, la communication, la finance et l’assurance, la distribution d’eau, l’assainissement et l’irrigation, la distribution d’énergie.

Un site propre intégral pour autobus relève, d’après cette typologie, de la seconde catégorie. H.-F. Henner rappelle un certain nombre de corrélations positives établies sur le plan statistique entre les dépenses d’investissement, notamment les investissements publics de transport, et la croissance économique. R. Herrera , sur la base d’un échantillon de 29 pays en développement, montre que le capital public, qui intègre toutes les infrastructures publiques, a eu un impact positif significatif sur la croissance économique. La Banque mondialeest nettement plus précise sur la corrélation infrastructures/développement économique : « à une augmentation du capital d’infrastructure de 1 % correspond une augmentation du produit intérieur brut (PIB) de 1 % pour l’ensemble des pays ».

Etant donné qu’une politique d’investissement nul en infrastructures publiques est impensable, il se pose une question d’affectation des faibles capacités des Etats subsahariens. Les contraintes budgétaires fortes font que toute dépense d’infrastructure a un coût d’opportunité élevé parce que c’est autant d’argent en moins pour les autres besoins. Le transport est un bien économique intermédiaire. A de rares exceptions près, il est un moyen de réaliser autre chose. Il est le passage obligé de l’essentiel des activités de production, de consommation ainsi que des activités de sociabilité. Le transport revêt ainsi un caractère de service transversal, un besoin transversal à la grande majorité des autres nécessités urbaines. On ne saurait envisager la construction de marchés, d’établissements scolaires ou de services de santé sans penser à les rendre accessibles. En fait, c’est tout simplement l’aménagement d’un territoire qui ne peut être pensé sans y associer un système de transport. Le milieu urbain, qui regroupe l’essentiel de l’appareil productif des pays subsahariens et, bientôt, la majeure partie de sa population, exige des investissements en infrastructures de transport pour pouvoir contribuer pleinement au développement économique et social des nations subsahariennes. C’est même une urgence compte tenu du retard de l’expansion des infrastructures par rapport à la démographie urbaine.

Les contraintes financières publiques incitent d’autant plus à des choix optimaux dans chaque secteur. Les investissements publics en transport urbain ne sauraient continuer à se concentrer sur des voiries automobiles dans les grandes agglomérations. La massification des flux constitue la meilleure réponse aux fortes croissances démographiques et spatiales. Si un site propre intégral pour autobus est plus coûteux qu’une voirie classique, il présente une meilleure rentabilité économique en cas de demande suffisante. P. Masse 55 , cité par L. Denant-Boemont dit d’ailleurs d’un investissement « qu’il constitue l’échange d’une satisfaction immédiate et certaine à laquelle on renonce contre une espérance que l’on acquiert et dont le bien investi est le support ». La construction d’un site propre intégral pour autobus, le moins coûteux des infrastructures de transport urbain de masse, semble donc le plus supportable des sacrifices pour des apports vis-à-vis desquels l’expérience latino-américaine fournit certaines garanties.

On ne peut se contenter de gérer uniquement la crise financière et « l’endettement permanent » de l’Afrique subsaharienne au risque d’annihiler son développement économique et social. Pour M. Diouf , « la première solution consiste pour les gouvernements africains, non pas de renoncer à l’endettement extérieur, ce qui est impossible, mais de le contrôler dans le cadre d’une politique réelle de développement ». Ceci passe par le développement d’une épargne interne, et à très court terme, par une rationalisation des choix et un recours préférentiel, voire impératif, à des crédits concessionnels.

L’analyse économique s’est, depuis longtemps déjà, penchée sur le financement public des infrastructures de transport et sa justification. Dans la pratique, la raison principale avancée est la difficulté pour un opérateur privé de rentabiliser financièrement un tel investissement. Une politique de transport urbain, en général, et l’aménagement d’un STUM, en particulier, soulèvent des enjeux qui dépassent le cadre de la simple production de transport. En partie pour cette dernière raison, un financement privé constitue un risque important pour l’investisseur mais également pour l’atteinte des objectifs de planification urbaine qui sont assignés à l’infrastructure. Certes, on relève des expériences d’aménagement de STUM ferroviaires par le secteur privé en Asie du Sud-est avec plus ou moins de réussite. Compte tenu du contexte politique et économique actuel, il nous semble en tout cas difficilement envisageable de faire assumer le coût de construction d’un site propre intégral pour autobus en Afrique subsaharienne par le secteur privé.

Les Etats subsahariens consacrent aujourd’hui des montants importants à la construction et à la réhabilitation des infrastructures de transport dans les grandes agglomérations. Ils continueront à le faire afin d’éviter d’entraver la réalisation de besoins essentiels et leur développement économique. Ici encore plus qu’ailleurs, les contraintes de ressources imposent une allocation optimale des financements publics. La nature des financements, emprunts et dons extérieurs, et ses conséquences néfastes sur la viabilité de l’aménagement et sur les économies locales appellent à plus de vigilance dans la décision d’engager ces dépenses. A la croissance des principales agglomérations subsahariennes et, par conséquence, des besoins de mobilité, la réponse optimale consiste en une massification des flux. Les ASPI constituent la moins coûteuse des manières d’y parvenir et les niveaux de dépenses en infrastructures viaires dans les grandes agglomérations subsahariennes montrent qu’un site propre intégral pour autobus leur est accessible en termes d’investissement. Les fonds consacrés au PAMU à Dakar ou ceux affectés à la réhabilitation de la voirie à Douala pourraient financer plus de 60 kilomètres de site propre intégral pour autobus. Un quart de ces sommes suffirait à envisager un aménagement équivalent à celui prévu à Addis-Abeba.

Notes
55.

Masse P. (1959). Le choix des investissements - Critères et méthodes, Dunod, Paris, p. 2.