1. Les autobus en site propre intégral, une réglementation stricte et une approche globale des transports urbains pour une plus grande efficacité

a. Le transport collectif urbain, des spécificités qui appellent une intervention publique

Selon une typologie établie par Musgrave 56 , citée par Y. Croissant et P. Vornetti la puissance publique intervient dans le domaine économique pour trois raisons :

  • la régulation de l’activité économique et de sa croissance,
  • la redistribution des ressources conforme à la justice sociale et à l’éthique de la collectivité
  • et la répartition des biens conforme à l’optimum économique.

Les spécificités du transport collectif urbain en font, pour chacune de ces raisons, un domaine privilégié de l’intervention publique. S’agissant de la première raison, nous avons déjà eu l’occasion de discuter de la corrélation positive entre développement des infrastructures de transport et croissance économique (cf. Chapitre 5, Section II-3-b). La fonction de redistribution des ressources par les pouvoirs publics doit s’exercer afin de garantir l’accessibilité (financière, spatiale, temporelle) aux transports collectifs urbains pour le plus grand nombre. Quant à la dernière raison, elle vise à compenser les défaillances du marché à cause de l’existence de situations de monopole naturel et d’effets externes dans le domaine des transports.

Du fait de l’existence de rendements croissants, pour réduire les coûts de production dans un souci d’optimum économique, les moyens de production doivent être concentrés dans une seule firme : c’est ce que la théorie économique qualifie de « monopole naturel ». Il doit alors s’accompagner d’une protection des consommateurs contre les abus possibles du monopoleur. Toutefois, cette théorie ne fait pas l’unanimité au sein de l’analyse économique. De nombreux arguments sont mis en avant pour la réfuter. Les tenants de la théorie des « marchés contestables » estiment notamment que le monopoleur peut se comporter comme s’il était soumis à la concurrence si « un entrant potentiel peut, sans restrictions, servir le même marché avec les mêmes techniques productives que les entreprises installées » . Dans le cas des transports collectifs urbains, on peut craindre cependant que les nouveaux entrants ne s’intéressent qu’aux segments profitables au détriment de ceux qui le sont moins. C’est d’ailleurs une des conséquences de la faiblesse de l’encadrement de l’offre artisanale en Afrique subsaharienne. Plutôt qu’une réfutation de sa nécessité, la mise en avant de la concurrence pour le marché constitue en fait un moindre degré de l’intervention publique. Il revient aux pouvoirs publics d’attribuer le marché et de veiller à ce que le monopole tende vers l’intérêt général. Entre la production publique du service et la mise en place de règles par les pouvoirs régissant cette production, il existe un choix large de réglementation et d’organisation des transports urbains. Toutes, à un degré plus ou moins important, appellent une intervention des pouvoirs publics.

A l’instar de la justification de l’intervention publique dans le domaine des transports par l’existence du monopole naturel, celle s’appuyant sur la génération d’effets externes par l’activité est également discutée. Selon le théorème de Coase, le jeu de la négociation entre les agents économiques suffirait à aboutir à un optimum économique en présence d’externalités. Mais le théorème repose sur une hypothèse de nullité des coûts de transaction entre les agents économiques, ce qui fait dire à F. Lévêque que « prendre pour référence théorique un monde de coûts de transaction nuls ne permet pas de comprendre le monde qui nous entoure ». D’un autre côté, si les coûts des transactions ne sont pas nuls, les coûts de l’intervention publique ne le sont pas non plus. Il convient donc de mettre en balance ces deux ensembles de coûts et de trancher selon les cas pour une intervention publique ou des transactions privées. Dans le domaine des transports collectifs urbains, le nombre des agents concernés incite plutôt à la première solution.

La fonction de répartition des biens conformes à l’optimum économique de Musgrave se fonde sur certaines spécificités propres au transport. Sur le plan de l’exploitation, le transport étant un bien non stockable et non transportable, il doit être consommé dans l’espace où et le temps pendant lequel il est proposé. L’adéquation entre l’offre et la demande se pose avec d’autant plus d’acuité. Or, en milieu urbain surtout, il existe des fluctuations très importantes de la demande (heures de pointe/heures creuses, semaine/week-end, périodes de vacances ou non…). Les instabilités du marché du transport du fait des écarts fréquents entre l’offre et la demande doivent être régulées.

Notes
56.

Musgrave R. (1959), The Theory of Public Finance, New York, MacGraw Hill.