c. Une réglementation respectée, des facilités d’accès aux capitaux et des exonérations fiscales : garanties nécessaires à la viabilité d’une exploitation privée

Le partenariat public/privé préconisé ici pour l’aménagement et l’exploitation d’un ASPI en Afrique subsaharienne est guidé par un souci de recherche de l’optimum. L’exploitation publique a montré ses limites dans les villes subsahariennes. Les Etats africains et leurs collectivités locales disposent de trop faibles moyens financiers pour se permettre de capitaliser à nouveau des entreprises dont les conditions de succès sont loin d’être réunies. Les aménagements latino-américains ont montré que des solutions moins coûteuses pour la collectivité, tant financièrement que sur le plan des dommages corporels et matériels, existent à travers un schéma associant construction publique des infrastructures et propriété et exploitation privée des véhicules. Mais, dans le contexte subsaharien, la mise en place d’un tel schéma implique un certain nombre de garanties pour l’opérateur privé :

Si les solutions à l’incertitude de l’environnement économique et politique en Afrique subsaharienne ne sauraient relever du (seul) secteur des transports urbains, des actions spécifiques peuvent être entreprises pour améliorer les conditions d’exploitation de véhicules de grande capacité. Une réglementation garantissant l’activité sur une période suffisamment longue pour permettre un amortissement de l’investissement inciterait les opérateurs à investir des montants plus importants.

Il faut ensuite que les opérateurs puissent disposer de capitaux pour investir et le meilleur moyen reste le crédit bancaire. Nous avons vu plus haut que cela se heurte à deux obstacles. Le premier porte sur les rapports entre les rationalités divergentes du banquier et des opérateurs traditionnels du secteur, les artisans. Le second concerne la rentabilité de l’activité : permet-elle de rembourser l’emprunt ? Ces obstacles pourront être levés en partie par la définition d’un cadre réglementaire sécurisant l’activité sur un certain terme et la protégeant d’une concurrence déloyale. Toutefois, on ne peut se permettre de se reposer entièrement sur des aspects réglementaires. Certaines agglomérations subsahariennes se sont d’ailleurs penchées sur la question de l’accès au crédit bancaire des artisans dans le cadre de renouvellement du parc de transport urbain. Dakar a dépassé le stade de la réflexion et, avec le PAMU, a mis en place un programme de financement de renouvellement du parc de cars rapides. Grâce à la garantie de l’Etat, les opérateurs sont incités à se regrouper pour pouvoir bénéficier de crédits concessionnels. Une telle approche dans le cadre d’un aménagement d’ASPI, en même temps qu’elle fournit un accès à des emprunts sur le long terme, conforterait le rendement financier de l’exploitation en réduisant les charges d’amortissement.

Si l’exploitation de véhicules de grande capacité sur des axes à forte demande et sur des voies exclusives permet d’espérer de meilleurs rendements (coûts d’exploitation moindres et, en même temps, recettes élevées), l’ASPI devra mettre fin aux coûts externes générées par les conditions d’exploitation des artisans. La réduction des charges d’amortissement par l’octroi de crédits concessionnels suffira-t-elle, seule, à viabiliser une exploitation privée ? La faible capacité à payer des usagers africains laisse peu de marges à une tarification purement commerciale du service de transport urbain. Des tarifs trop élevés du système se traduiraient automatiquement par une exclusion d’un grand nombre de citadins d’un service pensé ici dans une perspective de substitution à une offre artisanale sur les liaisons centre/périphérie, coûteuse pour la collectivité. Le caractère de bien intermédiaire interdit de se fier au seul marché pour fixer le prix du service du transport urbain. A Curitiba, comme dans la plupart des villes brésiliennes, le souci de couverture des charges d’exploitation et de l’amortissement des véhicules par les recettes s’accompagne de la volonté de ne pas exclure les plus démunis du système. La ville s’est fixée comme objectif que le travailleur moyen n’ait pas à dépenser plus de 10 % de ses ressources pour ses déplacements tout en ne subventionnant pas le ticket de transport de celui-ci . Cela passe notamment par le « Vale Transporte », une mesure visant à impliquer les employeurs dans le financement des transports publics : l’employé se fait payer l’ensemble des trajets qu’il a prévu dans le mois par son employeur qui retient alors 6 % de son salaire . Le blocage des tarifs et les subventions pour compensation tarifaire des entreprises publiques de transport urbain dans les agglomérations subsahariennes relevaient autrefois de cette même logique sociale. Or, les enseignements tirés des précédentes entreprises de transport par autobus montrent qu’il vaut mieux éviter les transferts financiers entre les opérateurs et les pouvoirs publics. Ces derniers subissent de fortes contraintes au niveau de leur trésorerie et auront donc tendance à les répercuter sur les opérateurs. Et des mesures faisant appel à d’autres sources de financement, telles que l’employeur, nous semblent illusoires dans le contexte subsaharien actuel. De tels financements existent-ils ? Si oui, comment les mettre en place ?

Des exonérations douanières et fiscales sont un moyen de parvenir à l’équilibre financier tout en évitant des subventions publiques directes. La plupart des entreprises publiques de transport urbain dans les agglomérations subsahariennes étaient déjà exonérées de certaines taxes, au moins au début de leur activité . Mais ces mesures correspondaient alors à des périodes d’absence d’autonomie de gestion des entreprises et n’encourageaient pas une recherche de productivité de la part des dirigeants de ces entreprises. Pour l’Etat, le manque à gagner sera négligeable par rapport à l’ensemble des recettes fiscales alors que pour l’exploitant, c’est un apport important dans un contexte de faible capacité à payer des usagers. En 1998, les recettes fiscales de l’activité transport en commun à Abidjan ont représenté environ 16 milliards de F CFA alors que l’ensemble des recettes fiscales du pays dépasse 1 000 milliards de F CFA 62 . Surtout, ces exonérations, en permettant l’accès au système de transport à un plus grand nombre de citadins, se traduiront par une amélioration de la mobilité et de la productivité. Elle constituent ainsi une mesure d’amélioration de l’assiette fiscale.

Mais encore faut-il que les gouvernements africains puissent accorder ces exonérations. Les politiques d’ajustement structurel qui placent leur économie sous la tutelle des institutions de Bretton Woods se caractérisent fortement par le relèvement de la fiscalité indirecte. Selon M. Diouf , cette augmentation porte le plus souvent sur les produits pétroliers et vise la limitation des achats de carburants, en même temps que le renflouement des caisses de l’Etat. Malheureusement, elle renchérit les coûts des transports collectifs urbains. Si l’augmentation est répercutée sur les ménages, elle réduit l’usage des transports collectifs avec toutes les conséquences qu’on peut soupçonner sur les activités urbaines. Et si les pouvoirs publics prennent en charge l’augmentation comme elles ont tenté de le faire avec des compensations pour insuffisances tarifaires, c’est à l’encontre de l’objectif de réduction des dépenses publiques avec en plus des effets néfastes de retards de versement, de risque de « déperdition » des fonds dans les arcanes administratives, voire de déresponsabilisation des opérateurs. Des exonérations exclusives au secteur des transports urbains réclament beaucoup de vigilance pour éviter des détournements au profit d’autres secteurs, ce qui constitue un argument supplémentaire en faveur d’un cadre réglementaire clair et respecté. Mais elles n’iront certainement pas contre l’objectif de limitation de l’achat de carburant puisqu’elles favorisent des véhicules de transport collectifs de grande capacité moins âgés que le reste du parc, donc moins consommateurs que les véhicules individuels et les artisans.

Pour permettre la viabilité d’une exploitation privée de véhicules de grande capacité sur site propre intégral, il faut limiter les charges d’investissement et d’exploitation des opérateurs. Des exonérations et un accès garanti par les pouvoirs publics à des crédits concessionnels traduiraient une reconnaissance de la qualité de service public (tarifs accessibles et externalités négatives limitées) sans versement de subventions directes. Mais cela nécessite un schéma d’organisation des transports urbains autre que l’actuel ainsi qu’une réglementation stricte et respectée de l’activité.

Le site propre intégral, à travers l’exclusivité de circulation, confère un avantage certain aux véhicules qui y sont exploités. Il garantit une vitesse commerciale élevée, soit, potentiellement, des économies d’exploitation et des recettes supplémentaires. Le fait d’aménager un site propre intégral sur les axes à plus forte demande accroît les facteurs de rentabilité de son exploitation. En outre, les ASPI, plus simples et plus flexibles que les systèmes ferroviaires, permettent, d’une part, de mieux « coller » à la demande, d’autre part, une appropriation plus facile par les opérateurs locaux. Mais ces avantages ne suffisent pas à garantir la viabilité de l’exploitation d’autobus en site propre intégral dans les agglomérations subsahariennes.

Préconiser, pour des aménagements d’ASPI en Afrique subsaharienne, une propriété et une exploitation privée des véhicules ne relève pas d’une position dogmatique. L’analyse du contexte subsaharien et des expériences passées d’exploitation d’autobus nous incite à cette conclusion. Le cadre réglementaire, tout en fixant les obligations contractuelles de l’exploitation, doit lui garantir les moyens d’y arriver, notamment à travers une autonomie de gestion. Le regroupement des fonctions de régulateur et d’exploitant rend difficile cette autonomie de gestion et dans le contexte subsaharien, cela devient fortement improbable. De plus, la rareté des ressources publiques pousse à s’appuyer sur le financement privé. Parallèlement, l’investissement privé exige une réglementation claire et respectée qui le rassure – surtout dans le cadre politique et économique instable de l’Afrique subsaharienne – et qui assure sa profitabilité. Il faut notamment tenir compte du niveau élevé d’investissement que représente le coût d’acquisition des véhicules de grande capacité par rapport aux capitaux dont disposent les opérateurs locaux. Les pouvoirs publics doivent garantir à ces derniers un accès à des crédits concessionnels. Des exonérations fiscales, plutôt que des versements directs de subventions, doivent être envisagées pour assurer un service bénéficiant au plus grand nombre. Il ne s’agit pas non plus de « singer » les choix latino-américains, mais de voir dans quelle mesure les agglomérations subsahariennes pourraient s’inspirer du contexte le plus proche en termes de contrainte monétaire.

Notes
62.

Source : Union Economique et Monétaires Ouest Africaine (UEMOA), « http://www.izf.net/izf/Guide/ TableauDeBord/cote_ivoire.htm », consulté le 7 septembre 2005.