b. L’exploitation entrepreneuriale des transports urbains subsahariens possible, à condition que la puissance publique l’accompagne

Dès l’indépendance, le choix de la plupart des Etats africains pour assurer le transport public dans les grandes agglomérations s’est porté sur les entreprises publiques. Les pouvoirs publics confiaient à ces entreprises le monopole de transport public, fixaient les tarifs et leur versaient des subventions. Les Etats africains bénéficiaient d’une aide financière, technique et en termes d’expertise pour la mise en place ou le maintien des activités de ces sociétés. D’après P. Teurnier , « de grosses sociétés ont vu le jour parce que c’était cela et rien d’autre qui était financé ». L’aide financière française, la présence de ses expatriés et la participation du groupe Renault Véhicules Industriels (RVI), en même temps actionnaire et fournisseur, ont sans doute contribué à la volonté de développer un service à la française dans les agglomérations des pays francophones. Une autre raison de ce choix tient à l’image de modernité que les Etats nouvellement indépendants voulaient donner à leurs capitales, vitrine de leur « développement ». Les gouvernants africains ont opté en faveur du service colonial plutôt que pour les solutions indigènes qui opéraient déjà avant l’indépendance. I. Diouf signale la présence de cars rapides à partir de 1947 à Dakar pendant qu’une compagnie privée sous contrat avec l’administration se limitait à la desserte de la zone Plateau-Médina.

Pendant ce temps, le transport artisanal « a été méprisé, pourchassé, dans le meilleur des cas toléré, jamais institutionnellement reconnu et intégré dans le service public » . Pourtant il se développait, répondant aux demandes (notamment celles des périphéries pauvres dans les zones peu accessibles) que les entreprises peu efficaces et incapables de s’adapter au contexte subsaharien ne pouvaient satisfaire. Aujourd’hui, la plupart des entreprises publiques ont été liquidées et l’essentiel de l’offre de transport collectif provient des artisans opérateurs. Malgré tout, le secteur artisanal souffre toujours de la faible reconnaissance par les pouvoirs publics. Peu d’efforts sont entrepris pour en connaître les conditions de fonctionnement, l’encadrer et, surtout, l’organiser dans une optique d’amélioration de la qualité de service. A. Baltagi constate que, suite à la liquidation des entreprises publiques, le choix d’une concurrence pour un marché à l’échelle des grandes agglomérations pour les remplacer ne vise qu’à faire renaître les grands réseaux d’antan et s’inscrit dans une démarche d’exclusion des artisans.

La structuration de l’offre artisanale qui a eu lieu en Amérique latine est également possible en Afrique subsaharienne. B. Mandon pense notamment que l’expérience brésilienne de constitution d’un secteur privé organisé, bien que dans un contexte économique et à un stade de développement très différents, présente des enseignements pour l’Afrique. Nous avons déjà eu l’occasion de discuter de la nécessité d’un cadre réglementaire efficace pour assurer la viabilité d’une exploitation de véhicules de grande capacité en Afrique subsaharienne. Parce que nécessitant un investissement plus important que celui consenti par les opérateurs actuels, les véhicules de plus grande capacité exigent des efforts de sécurisation de la rentabilité de l’activité. Si un autobus permet des gains de productivité par rapport à un taxi collectif ou à un minibus, il est plus difficile à remplir et est plus soumis aux aléas du trafic. Sans un certain nombre de mesures (limitation à l’entrée dans l’activité, monopole…), l’opérateur aura du mal à faire face à la concurrence de l’exploitation artisanale. La réglementation doit également garantir cette protection sur des délais suffisamment longs pour permettre un retour sur investissement. De plus, en garantissant la rentabilité de l’investissement, la puissance publique favorise les logiques accumulatives de concentration du parc au détriment de l’atomisation du secteur. Il faudra sans doute accompagner le regroupement des opérateurs par d’autres mesures incitatives. Mais il a fallu du temps au modèle entrepreneurial brésilien pour se mettre en place. En témoigne le retard pris par Quito pour privatiser l’exploitation de son Trolebus ainsi que les difficultés de regrouper les anciens opérateurs au sein d’une entreprise privée pour exploiter le corridor Ecovia.

La constitution d’une exploitation entrepreneuriale d’autobus peut également procéder d’une création ad hoc. C’est le choix fait par les agglomérations subsahariennes pour concéder les réseaux des anciennes entreprises publiques, avec les échecs que nous leur connaissons. Mais nous reconnaissons également que ces échecs résultent surtout de l’absence d’une stratégie sur l’ensemble de l’offre de transport, dans laquelle devaient s’insérer ces concessions en cohérence avec d’autres composantes. L’approche privilégiée pour l’exploitation du système bogotasino constitue à cet égard une excellente illustration de « bonne pratique » : création d’une nouvelle entreprise aux pratiques soutenables en y intégrant les anciens opérateurs.