b. Le modèle latino-américain dans le contexte subsaharien, des limites qui n’interdisent pas son adaptation

Le modèle de réglementation du service de transport par autobus développé en Amérique latine, pour être efficace, exige :

  • d’une part, une autorité publique en mesure de planifier et d’aménager le réseau, de définir son niveau de service et de l’administrer ; il lui sera notamment difficile de parvenir à des améliorations de productivité des opérateurs dans un contexte de monopole de service.
  • d’autre part, un entrepreneuriat local suffisamment étoffé pour que puisse jouer la concurrence en son sein.

Il a fallu quatre décennies à Curitiba pour mettre en place un système de transport novateur sur le plan technique comme sur celui de la réglementation et cela s’est fait par étapes. Très tôt la ville a réussi à restructurer son offre de transport ; puis elle a tenu le pari d’aménager un système de transport de masse à moindre coût et de convaincre les entreprises d’investir dans le matériel roulant adapté ; enfin, la municipalité a su mettre en place le concept de « recettes publiques », de contrôle rigoureux des coûts de production des opérateurs et de rétribution des recettes en fonction du kilométrage produit sans effaroucher les entrepreneurs. C’est « lors des nombreuses étapes de la politique des transports de Curitiba, [que] les entreprises privées d’autobus se sont liées aux orientations gouvernementales par une sorte de pacte de bon entendement » . Une telle relation basée sur la construction progressive d’une relation de confiance rend difficilement reproductible le modèle curitibain. Bogota et Quito ne disposaient d’ailleurs pas de tout ce temps. Bogota a profité de pratiques des anciens opérateurs relativement proches d’une exploitation entrepreneuriale pour constituer les entreprises de transport pour son nouveau système. Mais il lui faut accompagner la réglementation par un système de contrôle électronique en temps réel très sophistiqué. Quito, avec le retard pris pour le transfert de l’exploitation du Trolebus au secteur privé, illustre bien l’importance des exigences de cette nouvelle réglementation.

Les agglomérations subsahariennes, comme Bogota et Quito en leur temps, ne peuvent se permettre de subordonner l’aménagement d’un ASPI à une restructuration préalable de l’offre de transport urbain. La crise actuelle des transports urbains nécessite des réponses efficaces les plus rapides. Compte tenu de son coût, de (et à cause de) sa sophistication, le système de contrôle électronique du Transmilenio leur est inaccessible. En outre, le vide laissé par le retrait de la puissance publique dans la planification urbaine sur le long terme, comme la pléthore d’administrations publiques dans le secteur des transports urbains, exigent une refondation d’une autorité publique pleinement planificatrice et administratrice de son système de transport. L’entrepreneuriat dans les transports urbains est également à construire. Le contexte subsaharien impose par conséquent des limites à une réplication telle quelle de la nouvelle réglementation des transports par autobus inventée en Amérique latine :

  • Bogota et Quito, Curitiba dans une moindre mesure, illustrent déjà les difficultés à parvenir à un réseau complètement intégré. L’intégration tarifaire n’est réalisé que pour les utilisateurs de l’ASPI, soit pour 16 % des usagers des transports publics en 2004 à Bogota , 11 % en 2004 à Quito , 64 % en 1992 à Curitiba . L’intégration tarifaire pourra constituer une seconde étape après celle de la construction et de la mise en service d’un ASPI en Afrique subsaharienne. Si l’absence d’une intégration tarifaire fait perdre à un ASPI une part des performances atteintes en Amérique latine (allongement des temps de correspondance), l’aménagement constituera cependant une amélioration considérable de l’offre de transport dans les agglomérations subsahariennes.
  • La collecte des recettes tarifaires pour ensuite rémunérer les opérateurs sur la base de kilomètres produits réclame d’importants efforts de contrôle des coûts des opérateurs de la part de la puissance publique. Dans le contexte subsaharien, où aussi bien la puissance publique est à refonder que les opérateurs à restructurer, ce contrôle sera difficile à réaliser. Les moyens sophistiqués déployés pour le Transmilenio de Bogota ne sauraient être envisagés. Là encore, il faudra se reposer, au moins dans un premier temps, sur une maîtrise par les opérateurs de leurs propres recettes tarifaires. Outre que cela n’empêche pas une limitation des tarifs par la puissance publique, une telle approche rassurerait plus les investisseurs compte tenu du peu de crédibilité actuelle de l’autorité publique en Afrique subsaharienne.

Il s’agit en fait d’adapter le modèle latino-américain au contexte subsaharien tout en essayant de préserver au mieux les performances remarquables des ASPI. A l’instar des systèmes latino-américaines, l’option du monopole d’une exploitation privé (en fait, plusieurs monopoles à accorder à plusieurs entreprises) d’une infrastructure construite sur des financements publics doit être privilégié :

  • Premièrement, compte tenu des constats effectués sur la difficulté d’accès aux capitaux pour les opérateurs de transport subsahariens, l’exploitation de l’ASPI par plusieurs opérateurs doit être envisagée ici. Il ne s’agit pas d’effectuer un morcellement excessif du réseau. Les opérateurs doivent disposer d’une surface financière suffisamment large pour assumer les investissements requis. La présence de plusieurs opérateurs – à l’instar des avantages constatés sur les réseaux latino-américains – nous place dans une situation assez proche de celle d’un marché contestable : un opérateur défaillant ou ne faisant pas suffisamment d’efforts pour l’amélioration de sa productivité ou de celle de la qualité de service pourra plus facilement être remplacé par les autres.
  • Ensuite, les rendements croissants et le souci d’amélioration de la productivité pour un coût de transport accessible au plus grand nombre, poussent à attribuer à chaque opérateur une ou plusieurs dessertes exclusives. Une telle démarche exclut une concurrence sauvage au profit d’une complémentarité entre les différents opérateurs. C’est cette même concurrence sauvage qui est à l’origine de l’usage des véhicules de plus faible capacité – plus faciles à manœuvrer –, mal entretenus, ainsi que de la conduite dangereuse des artisans transporteurs en Afrique subsaharienne.

Du fait du caractère public du service, le contrôle de la tarification – combiné à des facilités fiscales – et l’exigence d’un certain niveau de qualité sont obligatoires. De même, il s’agit d’optimiser le fonctionnement du système et de réduire les externalités négatives générées en imposant aux opérateurs des véhicules de grande capacité et moins polluants. En dépit de son isolement physique, il faudra probablement plus de vigilance pour faire respecter un site propre en Afrique subsaharienne qu’en Amérique latine notamment du fait de l’envahissement prévisible de la voie par les petits commerces ou encore par des modes de transport peu conventionnels tels que les moto-taxis. Toutefois, par rapport aux observations actuelles sur les trafics routiers dans les villes africaines, le marquage physique fort que constitue un site propre intégral contribuera, d’une part, à un meilleur respect de l’interdiction d’y circuler et, d’autre part, à une plus grande rigueur dans l’application de cette règle par les agents de la circulation.