c. Pour un aménagement d’autobus en site propre intégral et une restructuration de l’offre artisanale réussis

Toutefois, si l’aménagement d’un ASPI en Afrique subsaharienne s’attaquera aux segments les plus rentables de l’activité de transport urbain, il ne devrait concerner que quelques corridors dans un premier temps. A Bogota, la première phase du Transmilenio ne couvre que quatre dessertes périphériques à partir du centre, soit 16 % des déplacements en transport collectif en 2004 . La seconde phase, en cours de construction, comporte 3 corridors d’une quarantaine de kilomètres au total . A Quito, 10 ans après sa mise en exploitation, le réseau se limite à deux corridors : Trolebus, qui pesait pour 11 % dans les déplacements en transport collectif en 2004 et Ecovia. Curitiba qui présente le schéma le plus abouti, compte cinq corridors de site propre intégral. La suppression partielle des emplois générés par le transport artisanal s’étalerait donc progressivement dans le temps, ce qui laisse la possibilité d’envisager des reconversions. Mais de toute façon, l’ASPI devrait être conçu dans une logique de complémentarité avec le transport artisanal et non de concurrence sur les mêmes dessertes : rabattement sur le site propre intégral ; dessertes sur les liaisons non concernées par le site propre intégral.

Un ASPI doit organiser le redéploiement de l’offre artisanale en périphérie. A Curitiba et à Bogota, le réseau de rabattement sur le site propre intégral obéit également à un régime de monopole : dans le premier cas, chaque opérateur s’est vu attribuer une zone de desserte ; dans le second, chaque opérateur dispose d’un monopole de desserte sur un des terminus du Transmilenio. Le monopole de service présente des avantages certains en termes d’optimisation de l’ensemble de l’offre de transport urbain. Il se traduit, comme évoqué précédemment, sur le plan de la maîtrise de l’entrée dans le marché, sur le plan du contrôle de la qualité de service et de la tarification. C’est le principal trait de caractère – monopole de service contre exigence de qualité de service – de la nouvelle réglementation des transports urbains qui accompagne l’aménagement d’ASPI en Amérique latine. Il conviendrait cependant de l’appliquer au contexte subsaharien en l’adaptant aux réalités du terrain.

La faiblesse du réseau viaire périphérique des agglomérations subsahariennes incite à un recours à des véhicules de faible capacité pour effectuer du rabattement sur un futur ASPI. De plus, nous regrettions plus haut l’importance des efforts dont les institutions subsahariennes devraient faire preuve pour parvenir à l’intégration tarifaire obtenue par les réseaux latino-américains. La non-application de ces deux mesures, absence d’intégration tarifaire et desserte périphérique par petits véhicules, permet alors d’envisager une exploitation des rabattements par des coopératives d’artisans dans le contexte subsaharien. Nous y trouvons en plus d’autres avantages. La difficulté à susciter, à court terme, une culture entrepreneuriale pour l’exploitation des rabattements est ainsi levée. Cette démarche consiste à considérer les artisans comme des partenaires de l’aménagement d’un ASPI plutôt que comme une activité à éradiquer. Pour un secteur qui n’a connu en Afrique subsaharienne que désintérêt, méfiance et hostilité, il s’agit là d’un facteur de désamorçage de conflits et de développement de la concertation locale avec l’ensemble des acteurs du transport urbain.

L’idée d’organiser les artisans en coopératives de transport n’est pas nouvelle. Dans certaines agglomérations subsahariennes, c’est déjà le cas ; mais elle reste très partiellement appliquée. Il s’agit souvent du minimum requis pour exercer l’activité ou bénéficier de mesures incitatives. Le cas des cars urbains dakarois illustre les déceptions qui résultent de ces programmes. Dans les années 1970, les autorités sénégalaises organisent le regroupement des opérateurs en huit coopératives et leur assignent des itinéraires précis de desserte. Elles accompagnent ces mesures par des aides au renouvellement du parc. Mais « les opérations de regroupement semblent avoir été de simples passe-droits pour remplir les conditions requises pour bénéficier du renouvellement (…) les effets n’ont pas été au-delà du simple rajeunissement partiel et de courte durée du parc » . L’aménagement d’un site propre intégral, un fort marquage spatial et physique, représente, là encore, une opportunité de parvenir à la création effective de coopératives de transport et de faire respecter les dessertes qui leur seraient affectées.

Au-delà de l’amélioration des conditions de mobilité dans les grandes agglomérations subsahariennes qui demeure l’objectif principal, l’aménagement d’un ASPI représente un certain nombre d’opportunités dont l’amélioration des conditions de travail des conducteurs, des chargeurs/rabatteurs et autres métiers d’entretien et de réparation générés par le transport artisanal. Le niveau de compétence acquis sur le terrain dans ces métiers pourrait être valorisé en vue de constituer la main d’œuvre des entreprises exploitantes de l’ASPI. Il serait d’autant plus valorisé que la population exerçant dans ces métiers est plutôt jeune. Grâce à l’intégration dans ces entreprises, en priorité, des jeunes exerçant déjà dans le transport artisanal et ses activités annexes ou dérivées, après des programmes de formation ciblées (code de la route et conduite de véhicules de grande capacité pour les conducteurs, mécanique et entretien des véhicules pour la maintenance…), les pertes d’emplois dans ces secteurs seraient atténuées et la logique de partenariat avec les opérateurs traditionnels renforcée. Certes, il existe des différences de pratique entre les métiers en entreprises (règlement interne, heures de travail définies, hiérarchie…) et ceux exercés de façon artisanale (un certaine liberté dans les heures de travail, rapport de familiarité…) pouvant entraver cette intégration. Mais, premièrement, en privilégiant les plus jeunes, on ciblerait un public aux pratiques moins habituelles et moins figées. Ensuite, de plus en plus de jeunes exerçant une activité informelle sont des citadins et ont au moins été solarisés en primaire. Ils ont, par conséquent, été en contact avec un certain nombre de règles de fonctionnement « modernes ».

Dans les grandes agglomérations subsahariennes, la faiblesse des moyens interdit d’envisager une offre entièrement publique d’ampleur et de qualité égale à ce qui existe actuellement. L’exploitation publique, au vu des expériences passées, se traduit souvent par une sollicitation financière importante de la collectivité parce que, d’une part, les tarifs sont maintenus bas et, d’autre part, le développement de pratiques peu productives dégrade l’offre. A l’opposé, la libéralisation totale des transports urbains est source d’inefficacités et de nuisances. Ce sont les même constats qui ont présidé aux choix, par les villes latino-américaines, d’une exploitation entrepreneuriale de l’ASPI (économiquement efficace) encadrée par des mesures réglementaires (afin de garantir des tarifs accessibles au plus grand nombre). Parce qu’il se veut une solution à des préoccupations similaires à celles des agglomérations subsahariennes, nous pensons que ce choix correspond également au contexte subsaharien. Un exploitation entrepreneuriale y est possible à condition que la puissance publique l’accompagne. A condition de tenir compte des particularités subsahariennes, le modèle latino-américain constitue une réponse au souci de viabilité d’un ASPI dans les agglomérations subsahariennes.

Toutefois, l’intégration tarifaire atteinte par les réseaux latino-américains ne pourra être envisagé pour le moment. Le rabattement sur le site propre intégral doit chercher à s’appuyer sur les artisans. En cela, l’aménagement d’un ASPI dans les grandes agglomérations subsahariennes constitue un excellent levier pour une révolution organisationnelle de leurs transports. Le saut technologique qu’il apporte aux transports urbains peut accélérer les réformes et donne l’occasion d’une démarche plus concertée et moins conflictuelle. Les agglomérations subsahariennes devront également prendre en compte les emplois générés directement et indirectement par le transport artisanal et essayer, sans affecter les performances futures du service, de les intégrer aux effectifs des entreprises structurées qui exploiteront l’ASPI.