2. Un système accessible aux grandes agglomérations subsahariennes à condition d’une propriété et d’une exploitation entrepreneuriale des véhicules

a. Conjuguer viabilité financière et tarification accessible au plus grand nombre

Plus que son aménagement, c’est la durabilité d’une exploitation d’un ASPI dans le contexte subsaharien qui risque de poser problème. L’Afrique subsaharienne est parsemée de coûteux équipements n’ayant véritablement et efficacement servi que peu de temps après leur inauguration. Une des principales raisons du dépérissement d’équipements publics construits à grand frais est la mauvaise gestion. C’est cette raison qui nous incite à préconiser une propriété et une exploitation privée des autobus sur le site propre intégral. Par le passé, la double casquette de l’Etat – réglementeur de l’activité et actionnaire principal, donc gestionnaire de fait – a conduit à la faillite des entreprises de transport urbain. Dans un constat consensuel de faillite de la gestion publique en Afrique subsaharienne, il convient de rechercher de nouveaux modes d’expression de l’action publique, plus efficaces, notamment à travers l’analyse des ASPI latino-américains. Dans le contexte latino-américain, le rôle de la puissance publique est centré sur la conception, l’aménagement et l’administration de l’ASPI alors que l’exploitation est du ressort du secteur privé.

Mais une propriété et une exploitation privée des autobus en site propre intégral exigent dans un premier temps que ces opérateurs puissent accéder aux capitaux nécessaires à l’acquisition de véhicules de grande capacité. La définition d’un cadre réglementaire et son respect, notamment par la puissance publique, sont indispensables pour créer un environnement rassurant pour l’investissement privé. L’attribution de l’exploitation à plusieurs opérateurs, chacun disposant d’un monopole sur certaines dessertes, constitue une des réponses à la difficulté d’accéder aux capitaux exigés pour l’acquisition des véhicules. Le régime de monopole est également un moyen de sécurisation de l’activité et favorise donc l’investissement privé. Chaque opérateur doit disposer d’une surface financière suffisante afin d’amortir le coût des véhicules. Est-il possible de s’appuyer sur des coopératives d’artisans plutôt que des entreprises structurées pour exploiter un ASPI ? Economiquement, ce recours est moins efficace. D’une part, il expose le système à des risques de concurrence interne à une même coopérative faisant ainsi perdre les bénéfices du régime de monopole. D’autre part, son exploitation perd les avantages d’économie d’échelles sur le plan de la maintenance des véhicules. Sur le plan organisationnel, le recours à une coopérative d’artisans plutôt qu’à une entreprise structurée est complexe. Outre qu’elle fait intervenir une trop grande multiplicité d’acteurs, la logique des artisans actuels est très éloignée de celle qui fonde le schéma d’organisation inspirée du modèle latino-américain et préconisé pour l’exploitation d’un ASPI dans les grandes agglomérations subsahariennes (monopole contre exigence de qualité de service). Enfin, la puissance publique doit garantir l’accès à des crédits à taux concessionnel aux opérateurs de l’ASPI.

Dans un second temps, l’activité doit ensuite être financièrement rentable pour permettre à l’opérateur d’amortir son investissement. Dans un objectif de couverture des coûts d’exploitation par les recettes tarifaires, l’amortissement du coût d’acquisition des véhicules et les frais généraux liés à l’exercice de l’activité risquent de grever les tarifs. Certes, l’accès des opérateurs aux crédits concessionnels permet un amortissement des véhicules à une tarification moindre par rapport aux crédits locaux classiques aux taux usuraires. De même, à condition d’être encadré par la puissance régulatrice, le régime de monopole est économiquement plus efficace et, par conséquent, se traduit par des répercussions bénéfiques sur la tarification. L’exploitation par plusieurs opérateurs permet justement un meilleur encadrement du monopole et de la tarification. La pratique de la concurrence pour le marché est plus efficace en présence de plusieurs petits marchés car ces derniers sont susceptibles d’intéresser un plus grand nombre d’agents potentiels. Le réglementeur peut également pratiquer le benchmarking et inciter ainsi les opérateurs les plus inefficaces à s’aligner sur les plus efficaces.

Une réglementation publique forte, le monopole, et l’accès à des crédits concessionnels sont indispensables pour peser sur les tarifs. Mais, compte tenu de la pauvreté généralisée des ménages, une tarification accessible au plus grand nombre passe par des aides publiques. Des versements directs de subventions sont à bannir dans un contexte de faible fiabilité de la puissance publique et de ses agents (contraintes fortes au niveau de la trésorerie publique, corruption et pratiques frauduleuses des agents...) au profit d’exonérations fiscales et douanières de l’activité. Le cas de la SOCATUR, l’entreprise privée de transport par autobus de Douala, illustre le potentiel de ces mesures en termes de baisse de la tarification lorsqu’elles sont combinées. Bien que la SOCATUR doive s’acquitter d’une TVA à hauteur de 20 % des recettes tarifaires, son offre est financièrement la plus attractive des transports collectifs. Les bénéfices qu’elle réalise lui permettent de contracter un emprunt avec un taux d’intérêt de 14 % auprès de banques locales pour développer son activité 70 . Certes, la SOCATUR a recours à des véhicules de seconde main, ce qui affecte notamment la qualité et la fiabilité du service fourni. Des crédits à faibles taux et une exonération de cette TVA, conjugués aux avantages d’un site propre intégral sur les axes les plus fréquentées de la ville, lui permettront sans doute de proposer une offre de meilleure qualité dans des conditions tarifaires avantageuses par rapport au transport artisanal.

Notes
70.

Entretien avec les responsables de la SOCATUR en avril 2006.