I. La démarche et les principaux résultats de l’étude

1. L’étude de cas : la traversée du fleuve Wouri à Douala
a. L’arrondissement de Bonabéri, un morceau de la ville de Douala isolé par le fleuve Wouri

La ville de Douala s’est très tôt développée sur les deux rives du Wouri. A l’origine, Bonabéri, sur la rive droite, était un village d’autochtones « Douala » vivant de la pêche et du commerce avec les Européens. Aujourd’hui, Bonabéri désigne tout le 4ème arrondissement de la ville et couvre une surface qui s’étend le long de la Route Nationale n°3 – communément appelée « Nouvelle route » – sur plus d’une dizaine de kilomètres. Faute de recensement récent de la population, les chiffres avancés pour la population de Bonabéri varient fortement dans la fourchette 200 000 – 400 000 habitants sur les deux millions que compterait l’agglomération doualaise. Le pont sur le Wouri comporte deux voies routières, une pour chaque sens de circulation, séparées par une voie ferroviaire unique. Les rails ne sont pas physiquement isolés du reste du trafic, ce qui permet aux automobilistes de les franchir quand ils effectuent des dépassements. Les piétons disposent de trottoirs étroits (un mètre de largeur environ) de chaque côté du pont, surélevés par rapport à la chaussée mais non protégés du trafic automobile.

Bonabéri doit son essor premier, pendant la période coloniale, à la construction d’un port et d’une ligne ferroviaire le reliant à l'hinterland pour l’exportation des productions agricoles. Une importante zone industrielle a accompagné le développement de l’infrastructure portuaire. Si le port de Bonabéri est peu exploité actuellement, de nombreuses entreprises sont encore localisées dans la zone industrielle. Des usines et des entrepôts se sont également déployés le long de la Nouvelle Route, faisant de Bonabéri un important pôle d’emplois formels pour la ville de Douala et ses environs. A côté des zones d’activités, les quartiers anciens se sont densifiés, de nouveaux quartiers ont été créés par des migrants en dehors de tout cadre d’urbanisation structurée et parfois dans des zones marécageuses. Sous la pression foncière, l’extension urbaine galopante rejoint et ingère d’anciens villages.

En comparaison des quartiers centraux anciens de Douala tels qu'Akwa ou New-Bell, Bonabéri est pauvre en équipements urbains. Le quartier de Bonassama sert de centre administratif secondaire et propose un certain nombre de services publics. L’arrondissement compte également quelques équipements d’enseignement public très insuffisants au regard de sa population. L’hôpital de la mission Cebec accueille une population très éloignée des hôpitaux publics situés sur la rive opposée. Si les habitants de Bonabéri ont régulièrement recours aux grands marchés de la rive gauche (Marché central à New-Bell, Marché Sandaga à Akwa et Marché de Mbopi), le Marché de Grand Hangar, ainsi qu’un certain nombre d’équipements marchands, leur permettent un approvisionnement quotidien en vivres et biens divers sur place.

L’enquête Pauvreté et Mobilité Urbaine (PMU), réalisée auprès de 600 ménages doualais en 2002 , avant l’instauration de la restriction de circulation sur le pont, s’est plus particulièrement intéressée aux populations à faible revenu 74 . Elle apporte cependant un certain nombre d’éléments sur la mobilité des Doualais, dont ceux qui résident à Bonabéri (120 ménages enquêtés à Bonabéri). A l’instar des autres Doualais, les habitants de Bonabéri avaient une mobilité de proximité, centrée sur leur quartier. Et lorsqu’ils se rendaient sur la rive gauche du Wouri, dans une très large majorité des cas, le déplacement était motivé par le travail ou les études. Plus de 90 % des traversées effectuées par les habitants de Bonabéri et recensées par l’enquête PMU étaient le fait d’actifs ou d’étudiants du supérieur. Dans 70 % des cas, la traversée était effectuée pour un motif professionnel. En moyenne, lorsque les habitants de Bonabéri se déplaçaient entre les deux rives du fleuve, ils effectuaient deux traversées par jour : un aller le matin, un retour en fin de journée. Les déplacements étaient concentrés dans les périodes de pointe : la moitié des déplacements effectués par les habitants de Bonabéri en direction de la rive opposée avait lieu entre 6 et 8 heures ; 60 % des déplacements dans le sens inverse, entre 16 et 21 heures (dont un tiers entre 17 et 19 heures). Pour traverser, les habitants de Bonabéri avaient grandement recours aux transports collectifs (plus de 80 % des déplacements), et plus particulièrement aux taxis (60 % des déplacements tous modes confondus). Deux tiers des déplacements en transport collectif faisaient appel à au moins deux modes de transport payants. La mesure des impacts de la restriction de la circulation confirmera d’ailleurs que les déplacements entre les deux rives du Wouri sont essentiellement motivés par le travail et les études.

Notes
74.

L’échantillon surreprésente les ménages des deux premiers quartiles de revenu.