b. La restriction de la circulation des transports collectifs sur le pont du Wouri

Depuis la disparition de la SOTUC, l’entreprise publique d’autobus, le schéma des transports collectifs dans la ville de Douala souffre d’un manque de cohérence entre les différents modes qui y opèrent. On y trouve le mode artisanal traditionnel (les taxis collectifs), l’entreprise que les pouvoirs publics veulent promouvoir pour remplacer la SOTUC (l’entreprise privée de transport par autobus, la SOCATUR) et ceux dont la conformité avec les textes encadrant l’activité pose problème : les moto-taxis, les minibus/cargos et les transporteurs clandestins.

Un protocole d’accord a été établi entre les autorités publiques et des représentants de syndicats de taxis au début de l’année 2004, pour une durée de 28 mois. Il précise que : « Pendant les phases des travaux qui nécessitent une rigoureuse régulation de la circulation et une réduction de largeur de la chaussée, les taxis/moto-taxis ne peuvent franchir le pont sur le Wouri qu’entre 21h00 et 6h00 du matin, tous les jours de la semaine ». Parallèlement, un autre protocole a été signé entre les autorités et la SOCATUR pour la mise en place d’une offre de substitution. Il spécifie que la SOCATUR devra mettre en place un service minimum de vingt bus de 100 places. Ce service spécial de la traversée assure une liaison directe entre le Rond-point Deïdo sur la rive gauche du Wouri et la mairie de Bonassama sur la rive droite du fleuve. Des aires de chargement et de déchargement des bus et des taxis ont été aménagées aux deux extrémités de la desserte. Le document fixe une tarification exonérée de TVA pour ce service spécial de la traversée : 50 F CFA pour les élèves du primaire et secondaire en tenue ou munis d’une carte scolaire, 100 F CFA pour tous les autres passagers. Dans les protocoles d’accord, il n’est fait nulle part mention des minibus qui, comme nous le verrons, constituent pourtant une part importante du trafic en transport en commun entre les deux rives du fleuve.

Le service spécial de franchissement du Wouri – que nous nommerons désormais navette –fonctionne tous les jours de semaine entre 6h00 et 21h00. La SOCATUR y a affecté environ une vingtaine de bus. Pour les différencier du service normal (de couleur blanche), ces bus sont peints en orange (Figure 40). En semaine, aux heures de pointe, ce sont 20 à 21 bus qui roulent. Aux heures creuses (de 10h00 à 14h00), le nombre de bus en service descend à 14-15. L’entreprise « repose » 3 à 4 bus toutes les demi-heures. Le samedi, 16 bus sont en activité toute la journée et 14, le dimanche. L’entreprise fait payer, en plus du ticket usager, les bagages « encombrants », 100 F CFA par bagage. Mais cela ne constitue pas un poste de recettes très important : environ 200 voyages par jour sont concernés.

Les quatre lignes régulières de la SOCATUR sur les liaisons entre Bonabéri (Ngwélé) et la rive gauche du fleuve (Bonanjo, Marché central à New-Bell, Ndokoti et Feu Rouge Bessengué à Akwa) continuent d’assurer leur service comme il en était avant les travaux. L’entreprise affecte environ 3 à 4 bus par ligne, ce qui en fait peu compte tenu de la distance de la desserte et de l’importante de la demande. En plus d’être faible, la fréquence des bus est irrégulière car fortement dépendante de l’état du trafic. Le matériel roulant de seconde main souffre également de l’état de la voirie ainsi que par la circulation. Le tarif pratiqué, 150 F CFA au moment de l’étude, quel que soit le trajet, est homologué par les pouvoirs publics. Près quatre usagers sur cinq enquêtés par PMU saluaient ainsi l’attrait tarifaire des autobus . Par contre, ils sont nombreux à dénoncer, aussitôt, la qualité de service : « l’offre reste insuffisante pour assurer une disponibilité spatiale et temporelle satisfaisante, ce qui contribue à la surcharge des véhicules ».

Sur la liaison entre les deux rives du fleuve, les autorités tolèrent les minibus parce qu’elles estiment que l’offre SOCATUR ne peut satisfaire toute la demande. Si l’on s’en tient strictement à la réglementation, les minibus ne sont pas autorisés à faire du transport urbain au Cameroun. Face aux insuffisances de l’offre de transport urbain, les opérateurs ont profité de certaines failles dans la réglementation et de la permissivité des contrôles pour s’implanter solidement dans les dessertes périphériques lointaines de la ville de Douala. Si les minibus sont tolérés, les cargos, à l’origine véhicules de transport de marchandises sommairement aménagés pour faire du transport de personnes, sont par contre explicitement interdits. Leur fonctionnement est identique en tout point à ceux des minibus. Pour certaines zones lointaines, difficiles d’accès, les minibus et les cargos constituent de fait les seuls moyens de transport motorisés. Mais la vétusté des véhicules et la pratique de la surcharge les rendent plus vulnérables aux accidents de la route. Dans la suite de l’analyse, le terme minibus désignera également les cargos.

Figure 40 : Taxis et moto-taxis rameutant la clientèle à la descente d’un bus SOCATUR

Les minibus assurent deux itinéraires de desserte entre Bonabéri et la rive gauche :

  • Le long de la Nouvelle Route à partir de Ngwélé (Figure 41) : ils disposent d’un point de chargement, et des chargeurs organisés en équipes, au niveau de Cebec d’où ils partent pleins. Selon le niveau de demande et la disponibilité de l’offre, certains conducteurs partent de Cebec vides et chargent le long de la Nouvelle Route.
  • A l’intérieur de Mabanda, le long de l’axe principal qui traverse le quartier.

Les minibus desservent le Rond-point Deïdo, Feu rouge Bessengué (Akwa) et le Marché central (New-Bell) sur la rive gauche du fleuve. La traversée coûte 200 F CFA et est bien entendu négociable : en période de forte demande, les opérateurs exigent jusqu’à 300 F CFA et, a contrario, en période creuse, les passagers proposent parfois 150 F CFA. Le coût du transport des bagages est fixé selon leur volume et après négociation.

Figure 41 : Minibus chargeant des passagers pour la rive gauche à Bonabéri (Ngwélé)

Les taxis, avec les moto-taxis, sont les seuls à être contraints de respecter la restriction de circulation sur le pont. Les premiers sont également tenus de respecter des lieux de stationnement précis aux deux extrémités de la traversée assurée par la navette SOCATUR. Quant aux seconds, étant donné qu’ils ne disposent d’aucune identification, la police intercepte toute moto avec passager, y compris les motos particulières.

Le taxi constitue le principal mode de transport collectif des Doualais : plus de la moitié des déplacements en transport collectif en semaine recueillis lors de l’enquête PMU . C’était le principal mode de transport collectif entre les deux rives du fleuve avant son interdiction sur cette liaison. Il n’y a généralement pas de liaison fixe, les taxis roulant au gré de la clientèle et des choix du conducteur. Ils fonctionnent en mode collectif (« ramassage ») ou individuel (« course » et « dépôt »). Comme nous le constations déjà plus haut, malgré l’existence de tarifs officiels, les prix se fixent sur la base de la négociation. Mais les taximen peuvent privilégier certaines dessertes et s’y cantonner durant tout ou partie du service quotidien : on voit alors se former des têtes de ligne pour ces dessertes. C’était notamment le cas de la majorité des opérateurs qui assuraient la liaison entre les deux rives du fleuve avant les travaux sur le pont : leur terminus sur la rive gauche était Rond-point Deïdo, à l’entrée du pont. L’extension urbaine et le développement des embouteillages les poussent à pratiquer un sectionnement des parcours : certains taxis ne traversaient jamais le pont. Après la mise en place de la restriction de circulation sur le pont, les taxis se sont cantonnés à du rabattement sur la navette ou sur des liaisons interurbaines à partir de Bonassama.

En 2003, le nombre de moto-taxis a été estimé à 22 000 et ils intervenaient dans un tiers des déplacements en transport collectif . Si certains se cantonnent à la desserte des « sous-quartiers » (liaison entre la route principale bitumée et l’intérieur des quartiers, en périphérie), certains bendskins opèrent au gré de la demande, dans le centre ou entre le centre et les quartiers périphériques. Les moto-taxis doivent leur succès au fait qu’ils peuvent desservir des endroits inaccessibles aux quatre roues, à leur faible coût (en moyenne 50 % de moins que celui du taxi d’après l’enquête PMU ), ainsi qu’au développement des embouteillages qui les rend plus rapides que les autres modes aux heures de pointe. Ces avantages ne doivent pas masquer les nombreux griefs à leur endroit. Il leur est reproché leur conduite imprudente, voire dangereuse, à l’origine de multiples accidents. Les moto-taxis inspirent également un sentiment d’insécurité suite à de multiples cas d’agression contre ses usagers. L’activité est née et se développe à la marge de la réglementation malgré des tentatives des pouvoirs publics de les encadrer.

Douala, à l’instar des autres agglomérations subsahariennes, compte également les transporteurs clandestins dans son offre de transport collectif, notamment sur les liaisons entre les deux rives du Wouri. Ces clandos opèrent avec de petits véhicules banalisés moyennant des versements d’argent à chaque poste de contrôle de police. Leur mode de fonctionnement est très flexible en fonction de la demande, des conditions de circulation ou des renforcements des contrôles. Ils s’adaptent à la demande pour peu qu’on y mette le prix. Si certains opérateurs privilégient les dessertes interurbaines, d’autres se spécialisent sur des liaisons urbaines périphériques lointaines. Mais de par sa nature, il est très difficile d’appréhender précisément cette activité. Le fait d’assurer des liaisons interurbaines n’empêche pas, par exemple, les opérateurs d’embarquer une clientèle urbaine dès qu’une place se libère dans le véhicule. On y trouve également des citadins qui utilisent leur véhicule personnel pour faire du transport dans la ville.