c. La mobilité entravée

Compte tenu du coût de la traversée, les populations de Bonabéri sont amenées à réduire leur nombre de traversée, notamment les déplacements pour les motifs autres que ceux professionnels (Tableau 64). Cette conséquence de la restriction de circulation sur le pont ressort clairement des entretiens individuels. « Ils [les membres de son ménage] traversaient régulièrement mais ils ont réduit ; (…) ils n’ont pas de transport, ils vont faire comment, c’est cher… » (un chef de ménage à Grand Hangar). La réduction du nombre de traversées se traduit par un regroupement des déplacements sur la rive gauche : « …je profite pour faire tout ce que j’avais à faire et je rentre seulement le soir à Bonabéri », un étudiant résidant à Bonambappe. Parfois, comme il a été rapporté par un enquêté à Ndobo, cela peut aller jusqu’au changement du lieu de réunion de la famille : les membres de la famille étant plus nombreux à Bonabéri, les complications provoquées par la restriction de circulation sur le pont les ont amenés à se réunir à Bonabéri désormais. Un chef de ménage de Ndobo affirme avoir dû retirer ses enfants d’un établissement de la rive gauche pour les inscrire à Bonabéri.

Tableau 64 : Les opinions sur la fréquence de traversée selon le motif du déplacement
  Plus Moins Pareil NSP Total
Professionnel 18 % 15 % 65 % 2 % 100 %
Domestique 12 % 30 % 57 % 1 % 100 %
Sociabilité 7 % 32 % 59 % 2 % 100 %

Le motif Professionnel regroupe les déplacements pour le travail et les études ; le Domestique, les déplacements nécessaires pour le fonctionnement du ménage, principalement achats, mais aussi démarches, services, santé ; la Sociabilité, les visites, cérémonies, réunions d’associations, loisirs.

Lecture du tableau : Première ligne, 18 % des usagers se déplaçant pour le travail ou les études considèrent qu’ils traversent plus souvent le pont actuellement, 15 % qu’ils traversent moins souvent, 65 % qu’ils traversent autant et 2 % ne savent pas.

Près d’un tiers des usagers disent effectuer la traversée aussi souvent qu’avant. Rappelons que l’enquête a concerné ceux qui sont en train d’effectuer un déplacement entre les deux rives. La démarche introduit ainsi un biais au détriment de ceux qui sont moins mobiles ou sont devenus moins mobiles suite à la restriction de circulation sur le pont. Cette proportion élevée s’explique également par le fait que la traversée est, dans la majorité des cas, « obligée ». Car la majorité des usagers se déplace pour des activités fortement contraintes, travail et études (61 % des usagers). Comme l’indique le jeune chauffeur d’un particulier, qui se déplace sur la rive gauche seulement pour le travail : « Je vais traverser pour aller faire quoi ? Il faut avoir les moyens et l’activité (…) c’est ça qui va permettre à quelqu’un de traverser. » ou le jeune bûcheron habitant Bojongo : « …le nombre de déplacements n’a pas changé mais c’est maintenant le coût des déplacements qui a augmenté. »

Mais le renchérissement de la traversée est tel qu’il affecte la réalisation des activités générant des revenus pour certains individus enquêtés. Un ferrailleur qui habite Grand Hangar et un entrepreneur en bâtiment qui habite Ndobo affirment refuser des chantiers sur la rive gauche parce que le coût des déplacements est trop élevé par rapport à la paie et que le temps de traversée (pour économiser les coûts) rallonge considérablement les délais du chantier. Une habitante de Ndobo a démissionné de son poste de vendeuse dans un supermarché de Bonanjo parce que son salaire ne couvrait pas les coûts de déplacement depuis le début des travaux sur le pont ; elle vend à présent des plats cuisinés « au quartier » (dans le quartier du domicile). Pour cet autre habitant de Grand Hangar : « …quand tu sors le matin, c’est pour, peut-être, trouver ton compte quelque part ; mais quand tu vois les moyens de locomotion, c’est plus cher que ton revenu par mois, tu parviens à faire quoi là bas ? Tu es découragé ».