Présentation générale

Introduction Générale

Tournus. Pour qui s’intéresse au moyen âge, ce nom évoque aussitôt une église romane : une des plus suggestives assurément, avec sa façade austère et ses deux clochers, avec son avant-nef sombre et basse, à gros piliers cylindriques, avec sa nef au contraire haute et lumineuse, et la teinte rose des pierres de la contrée. Or cette église était au cœur d’un monastère bénédictin, une puissante abbaye de fondation carolingienne, dont les domaines se répartissaient de l’Atlantique à la basse vallée du Rhône. Alentour s’étendait une agglomération sous sa dépendance, à l’origine de la ville actuelle. Mais celle-ci avait pour noyau une bourgade fortifiée plus ancienne que l’abbaye, un « castrum » fondé par les Romains sur la via Agrippa, à mi-chemin entre les villes actuelles de Chalon et de Mâcon, sur le bord de la Saône.

C’est en 875 que l’empereur Charles-le-Chauve avait fait donation de l’ensemble du site et de ses habitants à la communauté errante qui fuyait, devant les incursions normandes, son monastère d’origine, situé sur l’île atlantique de Noirmoutier, emportant avec elle les reliques de saint Philibert. A cette époque, le futur établissement bénédictin n’était qu’un petit oratoire à l’écart, dédié au martyre local saint Valérien. La fortune de Tournus allait tenir d’abord à cette rencontre, la nouvelle abbaye conservant dans sa dépendance les établissements ayant servi de relais à sa pérégrination fondatrice, et les faveurs des puissants lui assurant d’emblée, dans les premières décennies de son existence, l’apport d’une série de domaines méridionaux. A Tournus même, dont le centre de gravité se voyait déplacé sur le site de l’ancienne « cella sancti Valeriani », l’histoire de la ville allait se confondre avec celle de l’abbaye tutélaire. A la fin de sa vie, très affaiblie par les guerres de Religions, celle-ci devait être sécularisée, transformée en collégiale de chanoines en 1627 - avant que la Révolution mette un terme à sa domination, dispersant les religieux et redistribuant ses biens.

Du monastère médiéval, groupé autour de l’église Saint-Philibert, subsistent des vestiges évocateurs (ill. 1 et 2). La célèbre abbatiale est flanquée des restes de l’ancien cloître, en partie occupé par de petites maisons de l’époque des chanoines, mais où l’on peut encore admirer des chapiteaux sculptés du XIe s., et les arcades d’entrée de la salle capitulaire médiévale. Tout autour, les bâtiments claustraux ont été largement préservés. Sur le pourtour extérieur du site, une série de tours émaille le tracé du rempart disparu, dont on reconnaît la forme elliptique à la disposition de maisons canoniales modernes qui lui étaient adossées - entre lesquelles se distingue, du côté de la Saône, le palais abbatial des XVe - XVIe s. (ill. 2).

De la ville, étirée le long de la rivière, de part et d’autre d’une grand-rue qui a pris la succession de la voie romaine, on découvre le panorama depuis l’autre rive de la Saône, encore empreint de la nonchalance des vues cavalières des XVIe et XVIIe s. Les deux clochers de l’abbaye au sommet de sa butte à une extrémité, et celui de l’église Sainte-Madeleine à l’autre, au centre de l’ancien castrum fixé sur une légère éminence, dominent les toits, d’où émergent quelques bâtisses en hauteur (ill. 3 à 7). A l’intérieur, le site du castrum se reconnaît au réseau orthogonal de ses petites rues serrées, circonscrit par un ensemble de voies courbes soulignant le tracé de son enceinte primitive ; mais il faut aller dans les caves du quartier pour retrouver des vestiges de sa muraille. L’urbanisme médiéval, lui, a légué deux églises romanes encore en élévation, hormis Saint-Philibert, et une série de maisons, ou de restes ténus d’habitat, dont les façades ou quelques détails d’ouvertures attirent l’oeil au fil des rues, quand ils ne se cachent pas dans quelque arrière-cour ou dans quelque venelle.

Pareil ensemble méritait qu’on s’y attardât. Au-delà de l’impression pittoresque, on devine un modèle : celui du développement d’un établissement monastique puissant, greffé en l’occurence sur un noyau urbain préexistant, et ayant suscité dans son sillage, au cours du moyen âge, la formation d’un bourg, devenu ville avant l’époque moderne. C’est ce phénomène complexe de transformation d’un paysage monastique, mais aussi urbain, et du cadre de vie de ses habitants sous l’impulsion d’une communauté dominante, que nous voulons analyser dans cet ouvrage. Il est révélateur des mutations qui affectent la société des clercs et des laïcs au cours du moyen âge.

L’abondance des vestiges favorise ici l’approche archéologique, particulièrement attentive aux élévations, que nous nous proposons d’adopter. D’autant que leur répartition présente une certaine cohérence, à travers les trois ensembles du castrum, de l’abbaye, et de la ville ancienne (laquelle inclut les restes du castrum), dont la délimitation est aisée dans la topographie actuelle. En outre, quelques opportunités de fouilles sont venues heureusement compléter cette approche. Bien sûr, celle-ci doit prendre appui sur une réelle connaissance des sources écrites, profitant en l’occurence du bon défrichage existant grâce à une tradition locale d’érudition fort ancienne - particularité qui mérite d’être soulignée - relayée à la fin du XXe s. par de solides travaux universitaires.