Si l’on se tourne maintenant du côté des archives, quelques grands fonds se partagent l’essentiel des sources. Le principal est aux archives départementales de Saône-et-Loire, avec la série H, qui regroupe la majorité des textes concernant l’abbaye, de 819 aux années 1780 ; pour des époques tardives (du XVe au XVIIIe s.), les séries A, B, E, G, et Q, offrent des éclairages complémentaires, sur tel aspect de l’abbaye ou de la ville. De la même façon, et toujours pour la période moderne, voire pour le XVe s. ou la fin du XIVe, les archives hospitalières de Saône-et-Loire, les archives municipales de Tournus, et les minutes de notaires, distillent des renseignements sur la ville. A Tournus même, la bibliothèque municipale conserve un manuscrit provenant de l’abbaye, qui regroupe un ensemble disparate de textes médiévaux et modernes (ms. 1). Elle renferme également des écrits d’érudits Tournusiens, du XVIIe s. (ms. Chanuet), du XIXe s. (ms. Bompard), ou des alentours de 1900 (papiers de Jean Martin, inventaire des minutes de notaires de Tournus, par Gabriel Jeanton). On n’omettra pas non plus, pour les travaux intervenus depuis le XIXe s., les archives des monuments historiques, ou du service des bâtiments de France. Quant aux sources figurées modernes, gravures essentiellement, beaucoup sont conservées au cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale de France, et certaines au musée de Tournus - lorsque elles n’ont pas été largement diffusées, par les publications qu’elles illustrent. A ces fonds principaux s’ajoutent quelques actes ou copies d’actes, et textes hagiographiques, à la Bibliothèque nationale de France, et bien sûr, des dossiers concernant plus ou moins directement Tournus, dispersés entre les archives nationales et différents dépôts de province.
Il reste que les recueils de « Preuves » publiés par Chifflet et Juénin aux XVIIe et XVIIIe s., conservent une valeur inégalée, dans la mesure où ils constituent notre unique source, pour plusieurs textes dont les originaux ont été perdus. Ils reprennent d’ailleurs l’essentiel des écrits touchant la communauté monastique jusqu’au XVIIe s. (notamment ceux de la série H des archives départementales). G. Duby n’utilisait-il pas dans sa thèse, l’ouvrage de Juénin à la façon d’un cartulaire de l’abbaye ?
D’autres pièces se retrouvent ici et là, dans les éditions de grandes séries diplomatiques ou hagiographiques21. René Poupardin au début du XXe siècle, et Jean-Paul Andrieux à une date récente, par le choix qu’ils ont fait dans deux perspectives différentes, de regrouper des pièces se rapportant à la communauté de Saint-Philibert, ont assuré l’édition de la plupart des textes compris entre le IXe et le XIe s.22. Enfin, à défaut de publications exhaustives, deux états des lieux de la documentation ont été proposés lors du colloque du C.I.E.R. de 1994, pour les sources liturgiques et pour les sources iconographiques ; et dans sa thèse, Isabelle Cartron-Kawé a fait judicieusement le point sur les sources concernant la communauté, jusqu’à la fin du XIIe s.23. Pour toutes les citations retenues dans cet ouvrage, nous nous sommes risqué nous-même à les traduire du latin, quand cela n’avait pas été fait dans ces différents travaux.
Au total, on retiendra qu’un premier groupe de sources écrites, largement majoritaire, concerne la communauté monastique de Saint-Philibert. Il est constitué de documents médiévaux. Les informations qu’il livre sont surtout de nature évènementielle, sociale ou économique, mettant en valeur pour l’essentiel les relations des moines entre eux et avec leurs contemporains, mais aussi leurs modèles de pensée et leur inspiration religieuse.
On peut y distinguer les sources d’origine proprement monastique, liturgiques (missel, bréviaires, pièces de chants ou d’offices...) hagiographiques (vitae, passiones, et translationes de différents saints), ou narratives (chronique du moine Falcon au XIe s., mais aussi Mémorial de l’abbé Bérard au XIIIe s.). Mais le rôle principal y est tenu par les sources diplomatiques, qui dominent largement la période IXe / XIIe s. Diplômes et chartes de donations, ou confirmant des donations foncières, assorties de divers privilèges, sont adressés aux moines par les rois ou des aristocrates, laïcs ou ecclésiastiques. S’y joignent les actes pontificaux ou conciliaires, particulièrement nombreux au XIIe s., qui octroient des privilèges d’ordre spirituel, définissent les relations avec les évêques ou tranchent des conflits, ou encore réglent l’organisation interne du monastère.
Cependant, quelques textes, peu nombreux, concernent, à partir du XIIe s., des accords passés avec d’autres établissements religieux ; d’autres régissent, ou arbitrent, les relations de l’abbaye de Tournus avec ses dépendances à travers la France. De la même façon, vis-à-vis des laïcs, un ensemble de pièces, à partir de 1200, regroupe les accords, fois, hommages, et reconnaissances de fief, qui éclairent les relations du monastère avec les seigneurs des environs, et précisent les limites de juridictions. Un autre ensemble, plus varié, réunit les actes, accords et procédures, qui régissent ou arbitrent les relations du monastère en tant que seigneur, avec la communauté des habitants de Tournus : le plus ancien est un jugement du roi Louis VII en 1171, condamnant la commune alors constituée par les habitants ; l’un des principaux, qui nous est parvenu grâce à Juénin, est l’acte par lequel le monastère affranchit les habitants de Tournus de la coutume de mainmorte, en 1202. Pour le reste, il s’agit de titres définissant les droits des dignitaires ou des hommes du monastère, ou, essentiellement, de procédures à l’occasion de conflits entre l’abbaye et les Tournusiens.
Un second ensemble de sources est plus tardif, mais il donne des informations de type descriptif sur l’abbaye ou la ville, au XVe s. ou surtout, à l’époque moderne (XVe - XVIIIe s.). Celles-ci peuvent servir plus directement à l’archéologue, comme point de départ d’un raisonnement régressif. Il s’agit de visites plus ou moins détaillées de bâtiments de l’abbaye, ou de terrains et de constructions qui en dépendent à l’extérieur de la clôture, y compris en dehors de Tournus, après des évènements marquants (mise à sac du monastère pendant les guerres de Religions), lors des successions abbatiales, ou pour la vente des biens nationaux à la Révolution. Quant aux tractations immobilières, réparations, démolitions, donations ou ventes de bâtiments à usage public, travaux de voirie, et toutes procédures afférentes, elles forment le gros des minutes notariales, archives hospitalières et archives municipales : elles donnent à voir un paysage urbain et permettent d’appréhender la topographie ancienne de Tournus. Finalement, les sources figurées modernes, constituées de panoramas de la ville depuis la première vue cavalière publiée par Saint-Julien-de-Balleure en 1581 (ill. 5), ou de vues de détail de l’abbaye ou de la ville, du XVIIe au XIXe s. (cf. ill. 6 à 8, et 52 à 57), apportent des renseignements sensiblement de même nature. Encore plus récentes, les archives des Monuments Historiques permettent de faire le point sur les restaurations, de l’église abbatiale principalement : mais Jacques Henriet a déjà bien étudié la question pour l’église Saint-Philibert24.
Restent les sources plus directement archéologiques, que sont les papiers de Jean Martin sur ses découvertes à l’abbaye et dans les nécropoles mérovingiennes des collines environnantes (avec notamment des dessins, croquis et photos anciennes, cf. ill. 38, 39, 130 et 144). Pour les investigations plus récentes existent de véritables rapports de fouille, requis à chaque fois par le ministère de la Culture.
La connaissance de tous ces éléments - et particulièrement de l’incontournable recueil de Juénin, auquel nous sommes revenu sans arrêt, avec le catalogue de la thèse de J.P. Andrieux pour les textes antérieurs à l’an mil - nous assurait d’inscrire notre travail dans des perspectives historiques judicieuses. C’est même à partir de ces écrits et de ces archives, que nous pouvons faire le point sur les données fondamentales de l’histoire de Tournus, dans chacune des parties de cet ouvrage.
Cependant, il faut bien être conscient des limites de leur utilisation pour notre démarche. En effet, en dehors des quelques descriptions modernes, toujours d’un usage délicat pour remonter au moyen âge central, et bien sûr, des compte-rendus de fouilles anciennes, il n’y a jamais recouvrement, ni même exacte complémentarité, entre ces données et celles que peuvent livrer les sources archéologiques. Nulle trace ainsi, dans la documentation médiévale, de description de bâtiment ou de caractérisation d’un paysage monastique ou urbain ; nulle mention explicite de travaux de construction, encore moins de l’activité quotidienne des occupants de l’abbaye ou de la ville - toutes choses que met d’abord en évidence l’enquête archéologique. En revanche, les évènements ou les situations rapportées par les textes peuvent bien sûr apporter des réponses là où l’archéologie est muette, et favoriser certaines interprétations. Il s’agirait plutôt d’éclairages différents, sous des angles variés, d’une même réalité historique complexe. Le constat est d’ailleurs largement partagé par ceux qui veulent confronter les résultats des archéologues à ceux des historiens des textes25.
Actes des différents rois de France ou des papes ; martyrologes, « acta », « translationes », et « miracula » des saints Philibert et Valérien - à commencer par les écrits de Grégoire de Tours à la fin du VIe s. : cf. annexe « Sources et bibliographie ».
POUPARDIN 1905, ANDRIEUX 1993.
PALAZZO 1995 ; PETIT, N. - « L’iconographie ancienne de Tournus ». In : Saint-Philibert 1995, p. 681 - 701 ; CARTRON-KAWE 1998.
HENRIET 1990.
Le sujet a même fourni matière à un récent colloque en Avignon : Texte et archéologie monumentale [à paraître].