1.2. Le territoire : de la cité des Eduens à l’évêché de Chalon

Ce premier Tournus fait sans doute partie de la cité des Eduens (Autun) - dont le territoire doit reprendre, à peu de choses près, celui de l’ancien peuple gaulois. Dans l’organisation administrative héritée d’Auguste, celle-ci se trouve englobée dans la province de Lyonnaise (ultérieurement première Lyonnaise, à partir du IVe s.).

Pourtant, après Grégoire de Tours, les martyrologes des VIIe - IXe s. attribuent explicitement Tournus au « territoire de Chalon ».

C’est qu’entre temps, deux cités nouvelles se sont détachées d’Autun : Chalon et Mâcon. En fait, ni l’une ni l’autre n’est attestée avant le VIe s., et Chalon n’est même pas formellement désignée comme « cité » en dehors du texte de Grégoire de Tours : mais elle est devenue siège d’un évêché -peut-être avant 500, si l’on interprète ainsi une allusion de l’évêque Avit de Vienne37. Dans les deux cas, il s’agit probablement de ces évêchés taillés sur mesure, autour de centres urbains importants, lors des partages territoriaux des souverains burgondes et francs, au cours des Ve et VIe s.

De fait, avec la diffusion du christianisme, devenu religion officielle au cours du IVe s., l’église s’est organisée selon les cadres administratifs de l’empire romain, les évêques s’installant dans les chefs-lieux des cités. La crise politique aidant, ils en sont devenus peu à peu les dirigeants principaux. Aussi, la création de nouveaux évêchés se révèle un enjeu politique au cours des partages consécutifs aux invasions germaniques. Au Ve s., les Burgondes, installés dès 443 en Sapaudia par des Romains soucieux de contrôler la poussée de peuples réputés plus belliqueux, étendent leur royaume sur les territoires situés de part et d’autre du Rhône et de la Saône. En 534, cette « Burgondie » est conquise par les fils de Clovis, qui s’en partagent les dépouilles : Chalon et Autun vont à Théodebert, et Lyon et Mâcon à Childebert. Plus tard, à la fin du VIe s., le successeur de Théodebert, Gontran, fait même de Chalon sa résidence principale.

Au fur et à mesure de leurs conquêtes, Burgondes et Francs veillent à ce que des contrées passées sous leur domination ne relèvent pas de l’autorité d’un évêque extérieur : ils taillent donc de nouveaux évêchés - validant l’importance acquise par l’autorité épiscopale au cours des Ve et VIe s.38.

Ces circonscriptions ne recouvrent pas forcément celles des pagi de la nouvelle administration laïque, au sein desquels les comtes exercent leur pouvoir, et qui sont généralement plus petits. Mais en l’occurence, il semble que le  pagus du Chalonnais (ou « Chaunois ») se soit assez bien superposé au territoire de l’évêché correspondant39. Aussi, les termes utilisés dans les textes du haut moyen âge, et jusqu’à la donation de 875, «in territorio », « in pago cavilonensi » peuvent-ils renvoyer à ces deux réalités à la fois. Dans le contexte religieux qui est le leur, par rapport au martyre de saint Valérien, puis à l’abbaye qui lui est dédiée, l’interprétation comme évêché paraît la plus adéquate.

Cela dit, il est vraisemblable que ce Tournus primitif, situé à mi-chemin entre Chalon et Mâcon, se soit trouvé proche des confins des deux cités. Il est même possible qu’une légère ambiguité ait subsisté sur son attribution, jusqu’au IXe s.

En effet, alors que les textes antérieurs l’associent explicitement au territoire de Chalon, le castrum de Tournus est concédé en 854 par Charles le Chauve à l’évêque de Mâcon. Pas pour longtemps apparemment, puisque en 875, la donation du même souverain aux moines de Saint-Philibert n’y fait aucune allusion, alors qu’elle localise l’« abbaye de Saint-Valérien » dans le territoire de Chalon. Y aurait-il eu deux éléments distincts, relevant de deux évêques différents ? En 876, la bulle de confirmation de cette donation par le pape Jean VIII, met en garde l’évêque de Mâcon contre toute tentative d’ingérence dans les affaires des moines, bien que « la rumeur » attribue à son diocèse le monastère de Tournus. Il n’en sera plus jamais question par la suite40.

Il se pourrait donc, que jusqu’à la fin du IXe s., les deux cités épiscopales se disputent, avec le castrum de Tournus, une fortification marquant la frontière de leurs territoires.

Mais que sait-on au juste, de ce castrum ?

Notes
37.

Peu avant 500, une lettre d’Avit à Sigismond laisse entendre que Chalon a déjà un évêque. Cf. Avitus of Vienna and selectedprose. Translated with an introduction and notes by Danuta Schanzer and Ian Wood. Liverpool : University Press, 2002 : Epistula 76, p. 235 - 236.

38.

Sur ces question, cf. BEAUJARD, B. - « Chalon-sur-Saône », et PICARD, J.-C. - « Mâcon », in : Topographie chrétienne , prov. Lyon, 1986 : p. 64 - 74, et 75 - 80. Cf. aussi Fin de la cité antique , 1996 - et particulièrement la contribution de B. BEAUJARD, « L’évêque dans la cité en Gaule aux Ve et VIe siècles » : p. 127 - 145. Plus largement, sur les rapports entre Romains, Burgondes et Francs aux Ve - VIe s., cf. CHAUME, 1925 - 1937 (1977), et Les Burgondes , 1995.

39.

Cf. CHAUME, 1925 - 1937 (1977) : Partie II, Géographie historique, vol. 2, p. 747 - 750.

40.

CARTRON-KAWE 1998 : vol. III, p. 488.