En fait, tous les textes cités à propos du castrum de Tournus, traitent en réalité du martyre du saint patron du lieu, Valérien : lequel serait venu évangéliser Tournus au IIe s. de l’ère chrétienne. De Florus à la Translatio sancti Valeriani, que D. Iogna-Prat date du début du XIIe s., les différentes versions, extraites de martyrologes ou de récits hagiographiques, semblent s’inspirer d’une même Passion plus ancienne, du IXe s. ou antérieure - Dom J. Dubois proposait de la reconnaître dans un texte attribué par Chifflet à un évêque du XIIe s., Baudri de Bourgueil. La notice de Florus a en outre été reprise par Usuard, moine de Saint-Germain-des-Prés, dans son martyrologe composé vers 860 : mais sans mention de Tournus44.
Valérien, un des premiers chrétiens de Gaule, aurait été d’abord emprisonné à Lyon. Miraculeusement délivré avec son ami Marcel, il aurait remonté en sa compagnie la vallée de la Saône ; Marcel se serait installé à Chalon pour évangéliser le pays, et Valérien à Tournus. Après la mise à mort de Marcel, Valérien aurait été arrêté à son tour, par ordre du préfet Priscus, puis martyrisé et inhumé à Tournus, à l’extérieur du castrum. Un oratoire aurait été fondé ultérieurement sur sa tombe. Selon les versions, la date des évènements varie : pour Florus, Falcon, ou l’auteur de la Translatio, on se trouverait sous le règne d’Antonin (138 - 161) ; pour Garnier, Valérien aurait été exécuté en 179.
Les textes plus anciens, des premiers martyrologes et de Grégoire de Tours, sont plus laconiques, se contentant de mentionner le martyre de Valérien près du castrum de Tournus, à proximité de Chalon.
Bien sûr, la réalité de la christianisation aura été tout autre. Plus que le fait d’évangélisateurs martyrs, elle se sera faite, en Bourgogne comme ailleurs, par lente propogation à partir de groupes d’immigrés orientaux, d’abord dans les villes les plus importantes. Ainsi, son plus ancien témoignage connu dans la région est une inscription funéraire en langue grecque des environs de 300, retrouvée à Autun, principale ville antique, foyer de culture et centre d’échanges actif45.
Pour le reste, il est vraisemblable que ces vitae de martyrs locaux aient été bâties a posteriori, après que l’église se fut taillée une place officielle au cours des Ve / VIe s., pour enraciner la foi et les pratiques religieuses des communautés dans leur environnement familier, et les faire bénéficier de l’éclat d’un modèle proche. Les évêques auront participé activement à ce mouvement. Parfois, ils auront entériné un état de fait, en intégrant un culte populaire développé autour d’une tombe réputée sainte et suscitant des miracles - comme ce fut le cas pour saint Bénigne à Dijon au début du VIe s.46.
Cf. DUBOIS, J. - Le martyrologe d’Usuard, textes et commentaires. Bruxelles : société des Bollandistes, 1965 ; citation déjà dans JUENIN, Preuves , p. 2.Pour les autres références, de Grégoire de Tours à Garnier, cf. supra, notes 13 et 14. Sur la « Translatio sancti Valeriani » et la version attribuée à tort à Baudri de Bourgueil, cf. IOGNA-PRAT 1995, et aussi JEANTON 1921 b, et CHIFFLET, Preuves .
Inscription dite « de Pectorios ». Cf. REBOURG 1993. A Tournus, un fragment de marbre où se lisent les lettres grecques [...] / [....] / [....] / (?)[...] a été parfois interprété comme un fragment de sarcophage chrétien. Cela reste à prouver. Cf. MARTIN 1905, p. 53, et ESPERANDIEU, E. - Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine. Paris : Imprimerie nationale, 1925. N° 7082 : t. IX, p. 282.
Sur toutes ces questions, cf. Histoire de la Bourgogne , 1978 (1988) : « La Bourgogne du haut moyen âge : les origines chrétiennes », par Jean Marilier, p. 89 - 92. Sur l’activité des évêques dans la création de martyrs locaux, cf. BEAUJARD, B. - « L’évêque dans la cité en Gaule aux Ve et VIe siècles ». In : Fin de la cité antique , 1996 : p. 127 - 145.