2.3. La question de la nécropole gallo-romaine, et le sarcophage « de saint Valérien »

Curieusement, aucune nécropole ne peut être mise en relation avec les nombreux vestiges gallo-romains de Tournus. Même dans les environs immédiats, les indices en ce sens restent ténus78.

On localise parfois cette nécropole dans la partie nord du centre ville actuel, ce qui laisse entendre qu’elle pouvait s’étendre le long de la voie d’Agrippa, en direction de Chalon. Mais cette hypothèse demeure bien fragile: elle ne se fonde que sur trois pièces d’épigraphie antique, découvertes à plus de 600 m du castrum. La première est toujours visible, en remploi dans la maçonnerie du XIe s. de l’avant-nef de l’église abbatiale Saint-Philibert (dans le parement extérieur, à l’angle nord-ouest du bâtiment) : on y lit « (?)AE HERCVL[...] » (ill. 36). La seconde est un fragment gravé des lettres « F.V. », dégagé au XIXe s. dans le pavage (moderne) du chœur de la même église. Enfin, la troisième est un morceau de marbre blanc, où se lisent les lettres grecques «  [...] / [....] / [....] / (?)[...] », à côté d’une représentation de vase en relief, et qui a été interprétée comme un reste de sarcophage : elle a été trouvée lors du creusement des égouts en 1898, « dans le quartier de la gare » - ce qui signifie un peu plus loin que l’abbaye79. Evidemment, rien ne dit l’origine réelle de ces trois éléments, d’ailleurs mal datés.

Certes, l’hypothèse d’une nécropole antique à l’emplacement ou aux abords du site de l’abbaye médiévale demeure séduisante. Elle pourrait expliquer l’implantation à cet endroit de la tombe ultérieurement vénérée comme celle de saint Valérien, et par voie de conséquence, du sanctuaire qui lui sera dédié. Sa situation sur la route de Chalon et près du carrefour de la voie secondaire nord-ouest qui dessert Belnay, n’est pas inconcevable (cf. ill. 11 et 14).

Mais jusqu’à présent, les fouilles effectuées à l’abbaye n’ont jamais livré le moindre niveau antique en place. Même dans les mobiliers résiduels, trouvés en contextes plus tardifs, les seuls éléments antérieurs au VIe s. sont deux monnaies du Bas Empire, dans une sépulture et un sol d’occupation médiéval, ainsi que deux tessons isolés dans des niveaux médiévaux au sud-ouest du site80.

Reste cependant un objet funéraire d’importance : il s’agit du sarcophage attribué à saint Valérien, présenté dans la chapelle d’axe de la crypte de l’église abbatiale Saint-Philibert (ill. 37). Sa cuve monolithique en grès grossièrement taillé, rectangulaire, haute et large, et aux parois épaisses, montre un faciès de tradition antique. Certes, celui-ci est apparenté par exemple aux sarcophages les plus anciens de la nécropole de Saint-Just à Lyon, lesquels s’inscrivent dans un horizon fin IVe / Ve s.81. Et le même type de cuve, toujours en grès, s’observe encore dans la chapelle d’axe de la crypte de Saint-Bénigne de Dijon, en cours d’étude par C. Sapin. Cependant, on ne peut tout à fait exclure qu’il s’agisse d’une pièce plus ancienne82.

Dans l’état actuel de nos connaissances, ce sarcophage nous paraît donc plutôt chrétien ; il n’est pas même inconcevable qu’il ait servi dès le Bas Empire à recueillir le corps de saint Valérien. Bien sûr, son attribution traditionnelle demeure sujette à caution : elle est attestée en tous cas depuis le début du XVIIIe s., et la chapelle dans laquelle il se trouve répondait au vocable du saint en 156283.

En définitive, la question de la nécropole antique reste ouverte pour la période pré-chrétienne. Après tout, les secteurs fouillés jusqu’à présent ne représentent qu’une infime partie du site abbatial et du « quartier de la gare », susceptibles de lui correspondre (cf. ill. 12 et 14). Quant au sarcophage « de saint Valérien », s’il est assurément antique, quoique probablement tardif, rien ne dit à quelle époque il a pu être transporté à l’abbaye ; néanmoins, l’hypothèse de sa permanence sur le site de l’abbaye demeure plausible.

Notes
78.

Seul, un sarcophage gallo-romain est pris dans les fondations de la chapelle Saint-Médard, au hameau de Sens (commune de Sennecey-le-Grand) ; et une sépulture a été reconnue en 1993 à Martailly-lès-Brancion (cf. COGNOT, F., et BARTHELEMY, D. - « Martailly-lès-Brancion, Bois des Tillots. Tombe gallo-romaine fouillée en 1994 ». GAM Info n°2, 1994, 5 pages, non paginé). J.-P. Bourguignon situe encore un cimetière de cette période en rive gauche de la Saône, sur la commune de Simandre (lieu-dit « Les Marterats » : il figure sur la carte publiée dans BOURGUIGNON 1996, p. 239) : mais cette possibilité reste à confirmer.

79.

Cf.DURIAUD 1994 b, p. 466, et JEANTON 1924, p. 45. Sur le second fragment, publié dans ESPERANDIEU, E. - Recueil général des bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine. Paris : Imprimerie nationale, 1925. N° 7082 : t. IX, p. 282, cf. aussi MARTIN 1905, p. 53.

80.

Sur plus de 8000 fragments de céramique recueillis dans la fouille de 1992 - 94 ! Cf. SAINT-JEAN VITUS 1995 a.

Monnaies du Bas-Empire : en 1898, des ouvriers occupés à creuser les tranchées des égouts découvrirent, dans une « sépulture faite en dalles brutes » un « moyen bronze » de Maxence (empereur de 306 à 312) ; mais il semble que la sépulture soit de plusieurs siècles plus récente: cf. MARTIN 1911, p. 10. L’autre pièce provient de notre sondage de 1991, à l’angle sud-est du cloître médiéval : il s’agit d’une imitation barbare de Tetricus, comme il s’en est frappé beaucoup après sa mort (en 273), et comme il en circule au cours du IVe s (U.S. 22 : identification confirmée par L. Popovitch - avec tous nos remerciements) : cf. SAINT-JEAN VITUS 1991, 1995 a.

81.

Cf. REYNAUD 1998 - en particulier p. 101. Toujours à Lyon, les sarcophages les plus anciens de Saint-Laurent de Choulans sont légèrement plus récents que ceux de Saint-Just, s’inscrivant dans un horizon fin Ve / début VIe s. : or s’ils sont toujours rectangulaires à l’extérieur, ils sont déjà légèrement trapézoïdaux à l’intérieur ; ce qui n’est pas le cas du sarcophage « de saint Valérien » à Tournus (ibid.).

82.

La « typo-chronologie des sépultures du Bas-Empire à la fin du Moyen Âge dans le Sud-Est de la Gaule », présentée à l’occasion du 2e colloque A.R.C.H.E.A. à Orléans en 1994, n’exclut pas pour ce genre de sarcophages, « rectangulaires larges à parois épaisses », dont la hauteur de la cuve est souvent supérieure à 60 cm, une datation dès le IIIe s. ; les observations faites en Anjou - Poitou - Touraine, bien qu’elles portent uniquement sur des pièces en calcaire, aboutissent sensiblement aux mêmes conclusions, avec une datation grosso modo entre le milieu du IIIe et le milieu du Ve s. ( Archéologie du cimetière chrétien , 1996 : p. 271 - 303, et p. 257 - 269).

83.

Cf. JUENIN, I, p. 13, et « Mémoyre des dégasts... », in BERNARD 1914. D’après H. Curé, le sarcophage a été vendu en 1793, puis récupéré dans une ferme des environs et réinstallé dans sa chapelle d’origine en 1856 : CURE 1905 (1984), p. 408.