Cependant, les moines de Tournus savent aussi tisser un réseau de relations locales. I. Cartron croit d’abord percevoir l’existence de liens anciens avec les Guilhelmides d’Aquitaine, qui contrôlent l’Auvergne et le Mâconnais au début du Xe s. En effet, la communauté de Saint-Philibert bénéficie d’une série de donation en Auvergne et Velay, avant 915. Parmi celles-ci, le prieuré de Saint-Pourçain-sur-Sioule constitue l’une des principales dépendances de Tournus. Ce n’est sans doute pas un hasard si les moines ayant choisi l’exil face aux ingérences du comte Gilbert, se retrouvent à cet endroit, entre 945 et 949 : sans doute s’y sentent-ils protégés. Et les abbés, Hervé, élu selon la règle à Saint-Pourçain, et Etienne son successeur, paraissent issus de familles aristocratiques du Velay.
Conséquence probable de cette relation, la communauté de Tournus semble entretenir des liens privilégiés avec les comtes de Mâcon - qui au début du Xe s., sont justement des fidèles des Guilhelmides. En 941 - 42, le comte accepte de recevoir le roi Louis IV d’Outremer, alors en difficulté : celui-ci prend la peine, depuis Mâcon, de se rendre à Tournus délivrer un diplôme de confirmation des biens et privilèges du monastère. Puis le comte accueille le premier refuge des moines fuyant avec leurs reliques, au début de leur exil, aux alentours de 945 ; il trouve même une ruse pour leur éviter la fureur du comte Gilbert. Et c’est de Mâcon qu’ils partent, probablement sous sa protection, pour aller s’installer à Saint-Pourçain en Auvergne.
Après leur retour, ces liens sont maintenus, et dans la seconde moitié du Xe s., les comtes font bénéficier l’abbaye de nombreuses donations en Mâconnais, qui assurent son extension territoriale dans ce secteur. C’est pourtant la période de pleine expansion du monastère nouvellement fondé à Cluny, à côté de Mâcon, précisément par un Guilhelmide au début du siècle. Or les comtes de Mâcon se tournent encore, tantôt vers Tournus, tantôt vers Cluny : de cette série de donations en double s’ensuit à certains endroits, un enchevêtrement des possessions avec Cluny114.
Mais les prélats des environs jouent également un rôle de soutien important. On le voit avec le concile de Tournus, où les interventions des archevêques de Lyon et Besançon, et des évêques d’Autun, Chalon, Mâcon, mais aussi de Grenoble et du Puy, permettent le retour des moines de Saint-Pourçain, vers 949. La solidarité des ecclésiastiques est importante à un moment où plusieurs d’entre eux sont confrontés à des usurpations diverses. Par ailleurs, un certain nombre d’actes du Xe s. voient intervenir à la fois les deux évêques, de Chalon et de Mâcon ; mais la situation particulière de Tournus, aux confins de leurs ressorts respectifs, explique ce double intérêt115.
Cela dit, ces prélats ne se contentent pas de soutenir le monastère, ils alimentent eux-mêmes ses possessions et privilèges - du moins, à partir du milieu du Xe s. C’est d’abord l’archevêque de Besançon, Geoffroy, qui restitue en 945, des biens jadis usurpés dans la villa de Belnay et le pagus de Chalon, en y ajoutant quelques dispositions propres ; puis intervient l’archévêque de Lyon, Bouchard, à deux reprises autour de 950. A la même époque, un important apport de l’évêque de Chalon Hilbold, aura repoussé la limite des terres de l’abbaye vers le nord. Enfin, d’après Falcon, l’abbaye aurait reçu des privilèges des évêques de Mâcon Adon et Milon, qui siégeaient à la fin du Xe s.116.
Sur toutes ces questions, cf. CARTRON-KAWE 1998, vol. II, p. 228 - 230, et vol. III p. 500 - 509.
Sur ce paragraphe, cf. CARTRON-KAWE 1998, vol. I, p. 226 - 227, et vol. III, p. 490 en particulier.
Restitution de l’archevêque Geoffroy : A.D.S.L., H 177, n° 7, et ANDRIEUX 1993, Recueil , n° 39, p. 145 - 147. Donations de Bouchard : ANDRIEUX 1993, Recueil , n° 40, p. 148, et n° 42, p. 150 - 151. Hibold : FALCON, chap. 36 (JUENIN, Preuves , p. 23, ou POUPARDIN 1905, p. 96). A en croire P. de Saint-Julien-de-Balleure à la fin du XVIe s., la donation d’Hilbold aurait étendu les terres de l’abbaye au-delà du « grand chemin qui est entre la chapelle Saint-Laurent et l’abbaye descendant au Pâquier d’en haut, tirant à la rivière Saône » : autrement dit, aux abords immédiats du monastère, sur le site même de Tournus (SAINT-JULIEN-DE-BALLEURE 1581, p. 533). On ignore d’où cet auteur tient une telle précision. Sur ce sujet, cf. aussi JUENIN, I, p. 75. Les privilèges d’Adon et de Milon auraient péri dans les flammes de l’incendie de 1007 / 1008 : FALCON, chap. 45 (JUENIN, Preuves , p. 26, ou POUPARDIN 1905, p. 101 - 102). Cf. aussi CARTRON-KAWE 1998, vol. III, p. 489 et 491.