2.1. Travaux et habitat sur le castrum, fin IXe - Xe s.

Le castrum a révélé d’intéressantes traces d’occupation de la fin du IXe et du Xe s., dans sa partie orientale, à l’occasion de la fouille de 1994, au 18 - 19, quai du Midi (cf. ill. 26 à 33).

Sur ce site, on assiste d’abord, dans le passage antique en direction de la Saône où nous avons cru reconnaître une « poterne », à un creusement en sape, au pied du mur extérieur de l’enceinte romaine (côté Saône), et en partie, sous celui-ci. Ces travaux sont sans doute responsables de la cassure qui affecte à cet endroit l’élévation de ce mur - encore que l’actuel dévers d’un énorme bloc de maçonnerie vers l’extérieur, ait pu être exagéré par des mouvements ultérieurs du terrain (cf. ill. 26 à 31).

Au minimum, cette action vise à la récupération des pierres du parement antique. On observe d’ailleurs le même arrachement du parement au mur de soutènement qui lui fait face, toujours au-dessus du passage. Pourtant, dans ce second cas, on tient visiblement à conserver cette maçonnerie en place : de ce côté en effet, l’arrachement, qui se limite au ras du sol de l’époque, est suivi de l’application d’un enduit de paroi, au mortier de tuileau, tandis que le mur lui-même se voit renforcé du côté intérieur (ill. 27, 31, 32, et 33).

On notera que le rempart extérieur, bien que délabré désormais à cet endroit, est encore conservé. En revanche, s’il y avait voûtement au-dessus d’un passage de « poterne » antique, celui-ci aura été détruit à cette occasion. Par la suite, ce passage reste d’ailleurs utilisé, sans doute à ciel ouvert, le creusement en sape ayant été aussitôt remblayé : s’y succèdent, jusque vers le milieu du XIe s., des sols extérieurs, à surface irrégulière (ill. 33).

Toutefois, l’occupation correspondante à l’intérieur du castrum, n’est plus la même qu’auparavant. Les travaux d’élargissement du mur de soutènement, maintenant doublé vers l’intérieur, accompagnent la mise en place d’un habitat, caractérisé par un dépôt feuilleté de sols de terre battue successifs, sur une bonne cinquantaine de centimètres d’épaisseur au total. Ce phénomène traduit une utilisation continue de cet espace pendant plus d’un siècle, au moins jusqu’aux environs de l’an mil (cf. ill. 28 - 29, et 33).

Cela signifie qu’une maison s’est adossée au rempart - ou du moins, au mur qui le précède au-dessus de l’ancienne « poterne » : et par conséquent, qu’il n’y a plus à cet endroit de voirie longeant l’enceinte, susceptible, depuis l’intérieur du castrum, de fournir une rampe d’accès au passage vers la Saône. Ce dernier n’est pourtant pas tout à fait abandonné, et il faut croire que jusqu’au XIe s., on trouve encore quelque intérêt à conserver des tronçons de muraille à moitié en ruine, en avant de ce qui forme peut-être un front de maisons au-dessus de la rivière (ill. 33).

En ce qui concerne les datations, une monnaie du milieu du IXe s. dans le comblement du creusement en sape sous le mur du rempart (U.S. 34 de la fouille), accompagnée d’un apport de charbons de bois datés par radiocarbone, au plus tard du début du IXe s., et un mobilier céramique assez caractéristique des productions du val de Saône pour la fin du IXe et le Xe s., permettent une bonne appréciation de la chronologie de cet ensemble (cf. ill. 30). Bien que très fragmentée, la céramique recueillie dans cet horizon montre une intéressante évolution typologique dans la succession des niveaux d’occupation, jusqu’au tournant du XIe s. (cf.annexe « Les données de datation absolue » : « Radiocarbone », Castrum 94, US 34, et annexe « Chronologie de la céramique médiévale à Tournus »)118.

Au total, bien que ces observations soient limitées à un seul site précis, elles permettent tout de même de dégager un paysage urbain du haut moyen âge, consécutif à d’importants travaux sur le rempart, effectués apparemment dans la seconde moitié du IXe s. A leur sujet, il est tentant de songer à la restauration du « castellum » par l’abbé Blitgaire, signalée en 889. Bien entendu, aucune relation ne peut être établie de façon sûre entre le diplôme du roi Eudes cité plus haut, et ce qu’on observe en fouille. Mais les travaux du site du quai du Midi, qu’ils soient dus à l’initiative des maîtres des lieux, ou réellement à des exactions normandes, dont la véracité reste à prouver, traduisent bien une restructuration du dispositif défensif hérité de l’Antiquité, et s’inscrivent effectivement dans les mêmes décennies.

Notes
118.

Il nous faut remercier ici M. Marc Bompaire, chercheur au C.N.R.S., pour avoir identifié la monnaie issue de l’U.S. 34 de cette fouille : il s’agit d’un denier de Charles-le-Chauve, d’un type assez rare, émis à Quentovic entre 840 et 864, et dont on ne connaît plus d’exemplaire dans les trésors après les années 870. Pour l’identification de la céramique, nos remerciements doivent aller à M. Emmanuel Poil, qui connaît particulièrement bien les productions médiévales du val de Saône et de ses environs, et avec qui nous avons partagé de fructueuses séances de travail (cf. annexe « Chronologie de la céramique médiévale à Tournus » ).