Conclusion : Tournus à la veille de L’AN MIL

A la fin du Xe s., Tournus apparaît sans doute comme un ensemble bipolaire, plus ou moins lié par ce domaine habité au faciès incertain, que la donation de 875 appelait « turnutium villam ».

Au sud, le vieux castrum d’origine antique, étape fortifiée en bordure de Saône sur la voie d’Agrippa, conserve sans doute sa valeur stratégique, à la frontière des pagi de Mâcon et de Chalon. Devenu forteresse royale à l’époque carolingienne, confié depuis 875 à la nouvelle abbaye Saint-Philibert-et-Saint-Valérien, il voit ses fortifications reprises à la fin du IXe s., comme le confirme l’archéologie : peut-être réellement, par peur du danger viking ; ou même, qui sait, à la suite d’exactions normandes ? Quoi qu’il en soit, le nouveau dispositif enserre un habitat qui s’appuie désormais contre le rempart, au moins jusqu’au XIe s., tandis qu’on renonce - peu à peu ? - à l’issue directe sur la rivière ménagée à époque romaine. L’occupation du castrum est probablement dense, et il reste sans doute le principal centre de population.

Mais un second pôle d’habitat, religieux celui-là, s’est formé 600 m plus au nord, sur le site de l’ancienne basilique Saint-Valérien et de sa nécropole, lesquels se sont fondus dans un monastère plus vaste, auquel bascule le centre de gravité de Tournus. La nouvelle abbaye Saint-Philibert-et-Saint-Valérien, refondée en 875, est richement pourvue en reliques, elle reste fidèle aux rois francs, et bénéficie du soutien des comtes de Mâcon et des évêques des environs. Elle domine maintenant des territoires étendus : Tournus au sens large, et un certain nombre de domaines dans les environs proches, de part et d’autre de la Saône et en Mâconnais ; mais aussi, tout ce chapelet de dépendances apportées par les moines de Saint-Philibert en 875, égrenées le long de la Loire et en Poitou, que des donations en Auvergne, dans la vallée du Rhône, et jusqu’en Savoie, sont venues compléter dès la fin du IXe s. (cf. ill. 43).

A Tournus, peu après 875, la communauté aura entrepris d’importants travaux pour étendre l’assiette du monastère, en gagnant apparemment sur la pente méridionale de la butte qui portait la première église. C’est du moins ce que suggèrent des indices recueillis au fond de fouilles trop peu nombreuses. Celles-ci, par la découverte de niveaux de voirie successifs, laissent aussi supposer une première déviation de l’antique voie d’Agrippa, visant sans doute à contourner par l’ouest le nouvel établissement. Mais de l’organisation interne de l’abbaye carolingienne, nous ne savons encore rien.

A partir du XIe s., peut-être dès la fin du Xe, les travaux engagés sur le site abbatial modifient profondément le dispositif antérieur. Pour nous, surtout, les données ne sont plus les mêmes après l’an mil. La quantité de vestiges conservés à l’abbaye pour cette nouvelle période, dans un contexte historique en pleine mutation, fournit de tout autres matériaux à notre réflexion. Il nous faut donc nous arrêter spécifiquement, longuement, sur le site d’un monastère bientôt au faîte de sa puissance. C’est l’objet de la partie qui suit.

Quant à la ville en devenir, désormais sous la pleine dépendance des moines, elle nous apparaît sous un nouveau visage à partir du XIIe s. Nous nous y consacrons dans la troisième partie de cet ouvrage.