Parallèlement, les XIe et XIIe s. connaissent un nouvel élan religieux. La floraison de l’architecture « romane » n’en est pas l’aspect le moins significatif.
Celui-ci s’exprime notamment par un formidable renouveau du monachisme bénédictin, que dynamise la réforme clunisienne, sous l’autorité de ses plus grands abbés. La peur de l’au-delà suscite la ferveur et les donations : le culte des morts est un ressort essentiel de l’extraordinaire puissance de Cluny, mais d’autres sanctuaires attirent à eux des pèlerinages toujours plus nombreux, grâce au culte des reliques125. L’abbaye de Tournus est de ce point de vue très bien pourvue.
Néanmoins, la force du modèle clunisien tient aussi largement au privilège d’exemption, qui soustrait les moines à l’autorité de l’évêque pour les rattacher directement à celle du pape. Formulé à l’extrème fin du Xe s., d’abord en faveur de l’abbaye ligérienne de Fleury, ce privilège s’est défini petit à petit au cours du XIe s. grâce à l’habile activité des abbés de Cluny et des monastères sous son influence. Cette disposition exceptionnelle tend alors à supplanter, dans un contexte de délitement des autorités laïques, le vieux modèle carolingien du monastère immuniste sous protection royale ; un certain nombre d’abbayes cherchent désormais à s’y conformer par un rapprochement avec la papauté, et diverses tentatives pour obtenir des privilèges pontificaux126.
Mais cette dynamique prend elle-même tout son sens dans un mouvement général de renforcement de l’autorité pontificale. Celui-ci se manifeste surtout à partir du milieu du XIe s. dans les efforts de la papauté pour se soustraire à l’emprise des laïcs - voire pour les encadrer au nom de la suprématie du spirituel, comme le souhaite l’ardent Grégoire VII. La réforme grégorienne porte ses fruits au début du XIIe s. grâce à la continuité d’action de ses successeurs, dans l’affermissement du pouvoir pontifical, désormais clairement au sommet de la hiérarchie de l’église, dont il entend prendre les affaires en main. Au début du XIIIe s., l’autorité des papes est plus forte que jamais.
Dans ce climat exigeant, les pontifes soutiennent à partir du XIIe s. le développement d’ordres nouveaux aux aspirations ascétiques comme celui de Cîteaux, fortement organisé, et qui vient peu à peu concurrencer le monachisme bénédictin traditionnel. En 1235 et 1237, les propositions de Grégoire IX pour réformer les « moines noirs » portent la trace de cette influence cistercienne. En 1336 encore, Benoît XII, ancien moine cistercien, revient à la charge avec la somme « Summa magistri » (sans trop de résultats). Mais dès le XIIIe s., les nouvelles sensibilités religieuses, surtout en milieu urbain, favorisent le développement des ordres mendiants, auxquels la papauté se préoccupe d’assurer un encadrement solide. Eux aussi viennent parfois, à leur tour, gêner les anciennes implantations bénédictines127.
Les ambitions des papes finissent tout de même par se heurter à celles d’un roi de plus en plus puissant. A l’extrême fin du XIIIe s., Philippe le Bel ose remettre en question la suprématie de l’église. Des luttes qu’elle doit mener à nouveau contre les laïcs, sur plusieurs fronts, la papauté sort provisoirement affaiblie. En 1309, Clément V vient s’installer en Avignon, à la grande satisfaction du roi de France. Les papes y demeurent jusqu’en 1377. De là, ils tentent de reprendre l’église en main par une accentuation de la centralisation pontificale, tout en entretenant une cour des plus fastes, distribuant autour d’eux honneurs et prébendes. Mais une telle politique coûte cher, et mène à lever de plus en plus fréquemment des impôts sur l’ensemble du clergé128.
Sur l’importance du culte des morts à Cluny, cf. WOLLLASCH 1990. Sur le regain des pélerinages, cf. PAUL 1986, t. 2 p. 574 - 583, ou LOBRICHON 1994, p. 157 - 170.
Sur ce sujet, cf. LEMARIGNIER 1950, PAUL 1986 (t. 1, p. 231 à 232), et FALKENSTEIN 1997.
Sur ces questions, cf. PAUL 1986 (en particulier, sur la réforme grégorienne, t. 1, p. 297 à 398, et t. 2, p. 403 à 433 ; sur les nouvelles formes de monachisme au XIIe s., t. 2, p. 456 à 490), LOCATELLI 1992, RICHE 2000 (en particulier, p. 145 à 157, et 342 à 370).
Sur la période fin XIIIe - XIVe s., cf. CHEVALIER 1969, LEMARIGNIER 1970, et RICHE 2000.