De fait, la situation s’améliore pour les moines. Tout au long du XIe s. et au début du XIIe, les donations sont très nombreuses, contribuant sans doute à l’enrichissement du monastère, et illustrant probablement son dynamisme. Ainsi, dans les soixante années qui séparent le diplôme du roi Henri 1er en 1059 de la bulle du pape Calixte II en 1119, la liste des possessions de l’abbaye passe de 50 à 165 noms ! Cet accroissement considérable ne concerne pas seulement la Bourgogne, mais aussi la vallée du Rhône, ainsi que l’ouest de la France, le centre et le Velay, autour des principaux prieurés de Tournus152 (cf. ill. 43 et 44).
Dans le même temps, plusieurs indices à travers les textes semblent traduire, dans la période qui court du milieu du XIe s. au milieu du XIIe s., un certain activisme des abbés de Tournus. Les confirmations et privilèges royaux se succèdent, et à partir de 1096, à un rythme plus soutenu, les actes pontificaux (totalement absents de la documentation depuis 891 !). De son côté, l’abbé Pierre 1er (1066 - 1105) se montre soucieux de refaire parler les archives du monastère, dont il fait rédiger la chronique par le moine Falcon à la fin du XIe s. (les derniers évènements relatés datent de 1087) : elle est l’occasion d’une réinterprétation de son passé carolingien. De fait, cet abbé semble avoir eu quelque ambition politique pour son établissement. En 1087, le mariage avec le roi espagnol Alphonse VI, de Constance, veuve du comte de Chalon et alliée de la communauté, fournit l’occasion d’envoyer deux moines à la cour de Castille - il est vrai que cette initiative ne donnera pas lieu à une expansion de l’abbaye dans cette direction. En même temps, à l’intérieur du monastère, la liturgie se voit réaménagée avec l’instauration quotidienne d’un nouvel office à la Vierge153. Enfin, la chronique même de la fin du XIe s. nous suggère, de façon sybilline, que les abbés Ardain (1028 - 1056), et Pierre 1er, auraient été de grands bâtisseurs. La consécration de l’abbatiale en 1120 par le pape Calixte II en personne, outre le rapprochement qu’elle illustre avec la papauté, semble prouver qu’on ait entrepris des travaux conséquents à cette époque154.
JUENIN, Preuves , p. 128 - 129, et 145.
Sur les circonstances et enjeux de la rédaction de la Chronique de Falcon, cf. CARTRON-KAWE 1998, p. 481 - 483, et p. 489 - 493. Sur le mariage de Constance et la politique de Pierre 1er à cette occasion, cf. CARTRON -KAWE 1998, p. 507 - 508, d’après FALCON, chap. 49, in JUENIN, Preuves , p. 27 - 28, ou POUPARDIN 1905, p. 104 - 105. Sur l’introduction d’un nouvel office à la Vierge, célébré plusieurs fois par jour : FALCON, chap. 48 : in JUENIN, Preuves , p. 27, ou POUPARDIN 1905, p. 104 (cité par CARTRON-KAWE 1998, p. 527).
Chronique : FALCON, chap. 47, in JUENIN, Preuves , p. 27, ou POUPARDIN 1905, p. 103 - 104. Consécration de l’abbatiale en 1120 : JUENIN, Preuves , p. 148.