4.2. « Familia » et ministériaux

De fait, les murs de l’abbaye n’abritent pas que des religieux. Un certain nombre de laïcs gravitent autour des moines. On ne connaît leur existence (ignorée de la Règle) qu’au gré de rares allusions, dispersées au travers de textes qui ne concernent que les plus puissants d’entre eux. Il est donc particulièrement difficile de se faire une idée de ce groupe.

Les premiers sont des serviteurs  famuli »), qui assistent les moines à l’intérieur de la clôture. Falcon mentionne leur présence au tout début du XIe s. - pour les dénigrer d’ailleurs, car leur négligence est la cause de l’incendie qui a ravagé l’abbaye en 1007 / 1008262.

Deux siècles plus tard, l’acte de 1202 qui affranchit de la main-morte les bourgeois de Tournus (cf. infra, troisième partie, la ville en formation), distingue ces derniers de la « familia » de l’abbaye : les Tournusiens affectés à la garde des vignes doivent le respect aux uns et aux autres263. Enfin, en 1355, une ordonnance du roi Jean le Bon réitère la protection royale sur la communauté monastique : celle-ci, précise-t-il, s’étend à tous ses membres, ainsi qu’à leurs « homines de corpore et familias »264. Les « homines de corpore » peuvent être des habitants non libres des territoires dépendants ; le terme de « familia »recouvre le personnel du monastère. Ce dernier semble jouir de quelques avantages par rapport à la population de Tournus ; mais le statut de ces familiers a peut-être évolué depuis le XIe s.

Cependant, l’abbaye s’assure aussi les services d’hommes d’un rang plus important : il s’agit des hommes d’armes, jugés indispensables à la protection des moines, lesquels ne doivent pas verser le sang - et probablement aussi à leur prestige extérieur. Il arrive à certains de ces personnages de témoigner dans un acte, quand ils n’en sont pas directement bénéficiaires.

Ils sont dirigés par le maréchal-sénéchal, qui apparaît pour la première fois dans les textes en 1227265. Cette charge est confiée à un chevalier ou à un simple écuyer ; elle est tenue en fief héréditaire dès le milieu du XIIIe s., et ses droits sont énoncés par l’abbé en 1334266 ; il est nourri (avec la pitance ordinaire d’un moine, et double pitance de vin !), et vêtu par l’abbé. Il a aussi la garde de ses châteaux (on en voit un faire son testament en 1502 au château abbatial d’Uchizy). En 1334, on signale son domestique.

L’abbaye a encore un officier de justice, le prévôt, également attesté en 1227 ; mais nous reviendrons sur son cas à propos de la ville et des habitants, sur lesquels il exerce sa charge (infra, troisième partie, la ville en formation). En 1329, il dépend du chambrier : mais ces deux personnages ont chacun des sergents à leur service267.

Quant à l’abbé, il est assisté en 1334 par des écuyers 268. Avec la séparation progressive des différents bénéfices, on peut penser que l’entourage des détenteurs se sera également accru de ce genre de fidèles.

Enfin, il faudrait ajouter à ce personnel, celui que suscite la perception des droits seigneuriaux, agents administratifs, plutôt connus au XIVe s. en vérité : nous les évoquerons à propos des rapports avec la ville (infra, troisième partie : la ville en formation).

Notes
262.

FALCON, chap. 45 (JUENIN, Preuves , p. 26 - POUPARDIN 1905, p. 101) : « per famulorum incuria igne consuptum est [totum monasterium] » («  par la négligence des serviteurs, [tout le monastère] a été consumé par le feu »).

263.

« Custodes vero si infideles & perjuri per burgenses vel familiam ecclesiae juste convicti fuerint,... » (« si vraiment les gardiens étaient convaincus à juste titre d’inconsistance et de mauvaise foi devant les bourgeois ou la « familia » de l‘église,... ») : JUENIN, Preuves , p. 182.

264.

Ordonnances des rois de France : Jean-le-Bon, t. XXI, p. 29. Cité par BRACCONI 1977, p. 74.

265.

Mémorial de l’abbé Bérard : «  Pontius Marescallus  » ( JUENIN, Preuves , p.188)

266.

En 1258, cette charge est déjà depuis trente ans aux mains de la même famille, passée du père Ponce au fils Joceran, et enfin au gendre Hugues, par l’intermédiaire d’Isabelle, fille de Joceran. Au milieu du XIVe s., c’est la famille de Chanay qui accapare cette charge. Cf. DARD 1948, et CURE 1905 (1984), p. 147-150. Sur le titre de 1334 : JUENIN, Preuves , p. 246.

267.

JUENIN, Preuves , p. 243.

268.

Titres du maréchal de l’abbaye : JUENIN, Preuves , p. 246.